Rencontre nocturne

Il n’entendit que les trois premiers mots. Et surtout le dernier. C’est sans doute lui qui déclencha le flot de souvenir qui l’assailli alors. Il se revit, du haut de ses quatre-vingts centimètre, regardant avec attention ce petit bout rose enveloppé de blanc. Tous les détails lui revenaient, comme si il vivait la scène à nouveau. Il se revit, la prendre dans ses bras, et la cajoler. Il se vit, monter avec elle dans le grenier de sa demeure. Il se souvint croiser cet homme aux cheveux d’ébène dans l’escalier. Il lui sourit, en lui ébouriffant les cheveux. Il se souvint de son regard, emplit de tendresse, tandis qu’il observait son fils jouer avec sa petite sœur. Puis, l’homme disparut tandis qu’il montait les marches menant à la chambre. Il se souvint des gazouillis du bébé, alors qu’il poussait la porte de l’épaule, qui s’ouvrit sans résistance. Là, il se remémora le regard de l’enfant, ses grands yeux d’un bleu pâle, qui l’observait d’un air amusé. Là, il se remémora le spasme qui l’a prit, faisant tombé l’enfant sur le sol froid. Les larmes coulèrent, et l’enfant se mit à pleurer. Se rendit compte de la douleur qu’il avait dut faire subir au bébé, il la reprit aussi vite qu’il put, et la berça avec autant de douceur qu’un enfant de quatre ans pouvait offrir. Cela la calma un peu, mais les larmes continuèrent à tomber. Puis, il se sentit étrange. Il cligna plusieurs fois des yeux, tandis que l’enfant cessa de pleurer. Puis il se vit sourire de toutes ses dents, tandis qu’il prononçait pour le bébé les mots qui resteront maintenant gravé à jamais dans son esprit :

On va faire un jeu !

Il se revit alors, portant l’enfant à la fenêtre, en lui disant des mots gentils et affectueux. Il leva l’enfant à bout de bras, et dit que le décollage était imminent. Et, dans un geste sec, il jeta l’enfant par la fenêtre. La boule blanche suivit un court assez droit, avant de descendre vers le sol. Alors qu’il la revoyait, elle tomba au ralenti. Son vêtement blanc se défit un peu, et une trainée blanche flottait derrière elle. Il la vit sourire, d’un petit sourire enfantin. Et, alors que peu à peu, le sol se rapprochait, elle souriait de plus en plus. Il voulut crier, il voulut la rattraper, il voulut exploser en larme, mais il ne le fit qu’intérieurement. Il n’était qu’un spectateur de ses souvenirs. Et il voulut détourner la tête, mais il ne put. Le choc fut terrible, et il lui explosa la poitrine. Tandis que le blanc devenait rouge, que dans le vert de l’herbe se rependant une coulée couleur rubis, tout devint peu à peu flou. Les couleurs se mélangèrent, et, après un instant, il se retourna nez à nez avec Desdemona. Il sentit la chaleur de ses larmes sur ses joues, et, ne se retenant plus, éclata en sanglot. Il laissa couler ses larmes en abondance, toutes celles qu’il n’avait pas put pleurer. Après un temps, il se calma. Il fut toujours secouer, mais peu à peu, finit par s’arrêter. Des’ était restée là, sans mots dire. IL ravala sa salive, et dit, d’une voix cassée :

Je … c’était ma … ma sœur. Elle n’avait que … que quelques mois … et je … je … je l’ai fait passer par la fenêtre … je … oh non

Il ferma les yeux, tandis qu’à nouveau les larmes coulaient. Il tenta en vain de les retenir, mais il resta calme tandis que les gouttes coulaient sur ses joues.

Très … je …

A nouveau, il éclata en sanglot. Ayant vécu une seconde fois la mort de sa sœur, il ne put retenir ses larmes, qui coulaient à foison. Mais peu à peu, il se calma, et bientôt, ses yeux redevinrent secs. Il essuya les gouttes qui persistèrent, et se releva. Il faillit retomber, mais parvint à rester sur ses deux jambes. Voyant que Des’ l’imita, il dit :

Tu sais … je doute que tu ais raison. C’est bel et bien ma faute. Je ne suis qu’un, qui a juste différente facettes qui ne s’expriment pas en même temps. Je ne …

Il se tut. Il ne put s’empêcher de revivre sans cesse la scène dans la tête. Le sang qui tachait l’herbe verte le hantait. Il ferma les yeux, mais il n’eut pas de larme. Lorsqu’il les rouvrit, ses yeux rougit par les larmes n’exprimaient plus rien, ils semblaient vides. Son cœur semblait imploser, et il respirait avec difficulté. Mais il resta calme, et dit :

Finalement, je ne suis qu’un meurtrier hein. Tu as beau être le vampire, c’est moi qui tue ceux qui devraient vivre …

Un instant, il eut envie de partir, de tourner le dos à Desdemona, et de ne pas se retourner. Il cligna des yeux, et reprit sa respiration. N’étant plus secoué par les sanglots, il se tint immobile, indécis devant le choix qui s’offrait à lui. Et puis, finalement, il prit la décision de ne pas s’enfuir. Pourtant, il n’ouvrit pas la bouche, et ne fit aucun effort pour engager quelque discussion que ce soit. Ses yeux vides fixaient sans relâche ceux de Des’, qui lui rendait son regard. Il se répétait les mots de Des’, et nota qu’elle avait touchée juste. Ses yeux toujours aussi vides, il dit, d’une voix sans entrain :

Ne t’excuse pas. Après tout, tu as sans doute raison, mais c’est toujours un choc pour moi. D’ailleurs, il vaudrait peut être mieux que je les reprenne, ces médicaments. Et je crois que ça a été une erreur d’arrêter. Mais qu’importe. Et puis bon … Que je l’ai tuée volontairement ou non, est-ce que ça change quelque chose pour elle ?

Il s’arrête un instant, pour reconsidérer ce qu’il dit, et se reprit :

Non, non … Oublie ce que je viens de dire, c’était stupide de ma part.

Ses yeux étaient toujours aussi vide, et son ton n’avait pas changé durant tout le temps de ses paroles. Sa voix était resté monocorde, et il n’arrêta pas de fixer les grands yeux violets de son interlocutrice

Il regarda le paquet un instant, puis prit une cigarette, et la coinça entre ses dents, mais il ne l’alluma pas. Il ne savait pas quoi dire, et le silence se prolongea. Peu à peu, la cigarette, glissa, et finit par tomber sur le sol. A ce moment précis, il cligna les yeux, et se les frottai un instant. Il cligna à nouveau, et les rouvrit. Il fixa le vide un instant, puis sa bouche se tordit en un rictus de dégout, et finalement un air de consternation passa sur son visage. Il inspira un grand coup, et dit :

Tu es contente de toi j’espère ? Parce que si tu voulais le démonter, tu as on ne peut plus réussi. Si je t’ai dit de te taire, c’était pour plaisanter ? Tu es bien une femme tiens.

Il se renfrogna et prit une mine boudeuse. Cette partie de lui ne souffrait pas de la révélation, puisqu’il la connaissait depuis toujours, il se sentait tout de même mal à l’aise. L’envie d’étriper la jeune femme en face de lui se faisait de plus en plus forte, mais un semblant d’instinct de conservation l’empêchait, car il ne voulait par se retrouver à nouveau écraser comme la dernière fois. Malgré, il reprit la parole, son ton emplit de colère :

Cette fois, pauvre abrutie, tu ne t’approche plus de moi, c’est compris ? Je croyais avoir suffisamment insisté … Nom de Dieu tu te prends pour qui ? Et c’était moi l’immature hein. Tu te rends compte ? Tu te rends compte ? Tu l’a … Tu m’as détruit ! Et je suis sur que ça faisait partit de ton petit jeu hein ? J’espère que ça t’as plut

Et, dans un geste aussi irréfléchi que stupide, il voulut la gifler, mais les réflexes de la jeune femme l’arrêtèrent en plein geste.

Et il s’écrasa à nouveau sur le béton froid. Rapidement, le gout du sang emplit sa bouche, et il crut un instant avoir perdu une dent. Toujours sur le sol, il se massa la mâchoire, et découvrit qu’il n’en était rien. Au moins sa dentition était préservée, au contraire de sa dignité. Mais cela lui importait peu. Plus rien ne comptait pour lui que la colère noire dans laquelle il avait plongé son interlocutrice. Il se surprit à trouver cela très … amusant. Il se releva d’un bond, bien qu’une douleur nouvelle à l’épaule le fasse grimacer. Il cracha un petit filet de sang sur le sol, puis se tourna vers Desdemona. Il se mit à applaudir doucement, et dit, tout en continuant son geste :

Très impressionnant. Non, vraiment. Je crois que j’ai faillis faire dans mon froc ! Tu peux être très convaincante, tu le sais, ça ? Et d’ailleurs …

Il s’arrêta, le temps de recracher un mince filet de sang. Il essuya la bouche d’un geste discret, puis continua :

Et d’ailleurs je crois que je me suis mordu la langue, avec toutes ces cavalcades. J’ai du sang plein la bouche et j’ai horreur de ça. Mais ce n’est pas important. Ce qu’il l’est, en revanche, c’est à quel point tu te trompe. C’en est d’ailleurs presque drôle. Le fait est qu’il n’est aucunement question de disparaître, vis-à-vis de moi. C’est comme si d’un coup, une part de ta personnalité disparaitrais. C’est impossible. Mais n’étant pas dans le cas d’une double personnalité aussi bizarre et étrange que moi, j’imagine qu’il doit être difficile pour toi de comprendre. Ôte-toi seulement l’idée de ta tête que je puisse disparaître, parce que ça n’arrivera pas. Et puis, sans ces médicaments, je retournerais de moins en moins au fin fond de mon inconscient, comme tu dis. Mais …

Il s’arrêta un instant, puis dit :

Il est une chose que tu ne peux dénier, c’est le fait que tu n’aurais pas du en parler. Tu as vu, comme moi, les conséquences. Ne rien savoir aurait été une solution bien plus bénéfique pour moi comme pour toi. Mais cela a tout de même permis de montrer la valeur de ta parole.

Il ajouta ces derniers mots même s’il était sur qu’il allait avoir droit à un nouveau vol plané au travers du toit. Il se disait qu’il commençait à connaître le béton mieux que personne.

Il la regarda partir sans dire un mot, et pourtant un sentiment étrange l’emplit. Il sentit une légère frustration l’emplir, puis se muer en un agacement intense lorsqu’il s’aperçut qu’elle ne reviendrait effectivement pas. Du coup, il partit s’asseoir dans un coin, boudant. Et il resta assis suffisamment longtemps pour son autre personnalité refasse surface. Après un instant d’absence, il se releva, et prit conscience des douleurs qu’il avait dans tout le corps, dut aux multiples chocs sur le béton. Alors qu’il découvrait ce qui s’était passé, il ne put empêcher un léger sourire de naître au coin de ses lèvres. Comprenant que Des’ ne reviendrait pas, il décida de s’en aller. Il partit chercher sa guitare, et au moment où il allait s’emparer du manche, il s’aperçut qu’il avait un papier au creux de sa main. Après l’avoir déplié, il le lit rapidement, et le range au fond de sa poche. Il appréciait que Des’ ait pensé à lui remettre ce mot, même s’il devenait de plus en plus réticent vis-à-vis de la magie. Tout en se demandant quand est-ce qu’il pourrait reprendre contact avec elle, il attrapa sa guitare, et partit en direction de la porte. Alors qu’il l’entrouvrit, il regarda derrière, et dit, à lui-même :

Mouais, bon ben, faut croire que c’était … instructif.

Taisant la douleur qui ressurgissait au fond de lui, il tourna la tête, et referma la porte derrière lui.