Répétition... [suite de C'était donc ça...][toujours ouvert ;)]

Le chapeau en intérieur c’était inconvenant. La phrase rebondit dans son crâne alors que l’adolescent eût un mouvement de recul en voyant les mains de son ami s’approcher de son couvre-chef. Dimitry laissa Cael prendre le chapeau avec la méfiance d’un chien battu que l’on tenterait de flatter. C’était déraisonnable comme peur, mais cet accessoire, c’était plus qu’un vieux chapeau en feutre bleu qui sentait le romarin et la cannelle. Non sans peine, l’adolescent laissa le chanteur prendre le chapeau avec un léger frisson. Surpris de son propre contrôle de soi, ses longs doigts squelettiques se refermèrent sur l’objet en question, Dimitry resta un peu bête à fixer son ami comme si il eût été une créature venue d’un autre monde.
La dernière fois que son frère avait tenté de lui retirer son chapeau, Dimitry avait hurlé à la mort et l’avait griffé jusqu’au sang. Cet objet, c’était son trésor. Et il avait laissé Cael le prendre. Sans opposer de résistance, sans crier.
Son regard bleu-rouge se posa sur ledit objet. Il le serrait contre lui comme un enfant son doudou. Ses joues devaient être en feu. Il crût parvenir à dire un « Pardon » et emboîta tranquillement le pas de son camarade. Cael ne marchait pas très vite, lui non plus. Peut-être avait-il le même problème de maladresse? Ils atteignirent bientôt l’escalier, le poult de Dimitry s’accéléra, son camarade freina leur course, qui jusqu’à maintenant allait si bien et le pauvre gringalet dû effectuer une acrobatie digne des plus grands contorsionnistes pour éviter de tomber dans la cage d’escalier, entrainant le jeune homme avec lui. Le résultat aurait pu faire penser à un shaman africain tentant d’invocquer une quelconque divinité spécialisé dans les miracles hydrauliques, mais le garçon réussit à s’immobiliser assez longtemps pour que Cael ne tourne les talons et disparaisse dans les couloirs, laissant Dimitry en équilibre entre la vie et une belle ecchymose.
Après avoir pousser un long soupir de soulagement et s’être agrippé à la rampe pour retrouver un semblant de stabilité. Ça avait passé à un cheveu. En parlant de cheveux, les siens lui avaient effleuré le bout du nez. Interloqué, son index glissa sur son hypoténuse nasale. C’était… fleuri. Comme une sorte de fleur, pas trop exotique, mais très rare. Une fleur blanche, il en était sûr. Sa voix lui parvint du couloir.
Enseigner quelque chose? Il avait l’air si vieux?

-Euh… je suis surtout venir terminer mes études. Vu que ma mère ne veut plus de moi et que mon frère est parti, il fallait bien que j’habite quelque part. ( Il se mit en route pour suivre son ami.) Je n’avais jamais pensé enseigner quelque chose… tu crois que ça rapporte de l’argent? Ça me permettrait peut-être de soigner le chaton de Griselle- la chatte de mon frère- elle avait l’air plutôt mal en point ce matin.

Pressant le pas pour être à la hauteur du castrat, Dimitry lui sourit largement.

-Et puis il va bien falloir que je paye pour mes études, bientôt, ajouta-t-il en regardant la poussière exécuter son ballet aérien habituel.

Le silence s’installait petit à petit et le niveau de stress de Dimitry semblait aller de paire avec celui-ci. Il fallait engager la conversation, trouver un sujet intéressant, trouver des points communs qui les passionnent tous les deux, ce genre de chose. Un sujet intéressant… un sujet intéressant.
Sa bouche s’ouvrit toute seule.

-Au fait, tu sens très bon, c’est un parfum particulier ou bien c’est… naturel.

« Bon sang, mais en quoi c’est intéressant comme sujet!?»

-Enfin, c’est pas… c’était… bah, le prend pas comme… c’est un compliment, tu … comprends?

Son visage vira au cramoisi et il reprit sa place derrière son ami en fixant ses chaussures. Tentative échouée. Félicitation Dimitry.

- Et toi, tu as un travail? Marmonna-t-il piteusement.

À mesure que son camarade parlait de ses vêtements, le regard de Dimitry se baladait sur la tenue de celui-ci. En effet, ses vêtements étaient à sa taille, bien coupé, du travail remarquable. Il en avait lui aussi des semblables lorsqu’il était plus jeune. Avant les disputes. Il souriait en parlant de ses parents, de son frère, mais lorsqu’il serait à nouveau seul, il savait qu’il fermerait les yeux et pleurerait sur la lettre chiffonnée dans la poche de son pantalon, si petit qu’il ressemblait plus à des bermudas à présent. Un jour, la veste qu’il portait avait été trop longue pour lui. Il avait dû couper les manches pour la conserver. Dimitry n’avait jamais aimé se séparer des objets, ce qui expliquait probablement le désordre dans sa chambre et les piles d’objets inutiles dont il n’arriverait surement jamais à se défaire.
Il devait avoir l’air ridicule à côté de Cael. Un gueux à côté d’un noble. Comme dans les contes pour enfant. Sauf qu’habituellement c’était une fille la pauvre et ils finissaient par se marier et avoir un tas d’enfant, fin plutôt impossible dans leurs cas. N’est-ce pas?
Idées ridicules, il les chassa d’une main. Quelles bêtises il pouvait débiter quand même! Il rit intérieurement, un rire nerveux.
Si, Dimitry savait qu’il ne devait pas le complimenter parce qu’il savait où ça menait. Il allait recommencer. Ce qui faisait que ça mère le détestait. On lui avait dit que c’était une maladie. Une maladie mentale. Son regard glissa vers le sol; Il se mordit la lèvre. Si jamais les gens apprenaient qu’il avait cette maladie, on l’enverrait dans cet institut. Son souffle sembla se suspendre, Dimitry s’immobilisa un instant, terrifié. Il ne voulait pas retourner là-bas. L’adolescent sentit ses mains trembler violement, puis un frisson le ramena les pieds sur terre. Avec un sourire désolé il reprit le chemin.

-Je m’en voudrais d’abuser de ton argent ainsi. Je sais bien que les amis, c’est fait pour ça, mais je ne suis pas devenu ami avec toi pour avoir accès à ton comptes bancaire.

À vrai dire, la raison était un peu floue dans sa tête, mais il s’était dit que pour le protéger de son tsunami, mieux valait pouvoir être toujours avec lui et la meilleure façon d’être avec lui, c’était d’être son ami. Un inconnu qui vous suit partout, ça devient vite effrayant.

-Les orchidées, hein… ajouta-t-il avec un sourire en coin. Je crois que mon frère en a dans son appartement. Il adorait les plantes. Je continu à les arroser, tout les samedis, parfois le dimanche.

Il ne pouvait pas lui parler de sa maladie. Pas tout de suite. Plus tard. Il ne voulait pas qu’il disparaisse tout de suite. Mais n’était-il pas en train de lui mentir? Non. Tant qu’il ne posait aucune question. Mais il ne poserait jamais de question sur de tels sujets… Il verrait bien. Il devrait profiter en silence. Pourtant, lui cacher une maladie ne serait pas chose facile. Une maladie mentale, ça ne se contrôle pas après tout. Il pourrait peut-être… juste lui en toucher deux mots, plus tard.
Son chapeau se courba sous l’étreinte violente de ses doigts.

-Je dois te prévenir! Commença-t-il, mi-hurlant, avant de se racler la gorge et de poursuivre sur un ton plus acceptable. Je… je dois te prévenir que je … je suis malade. Mais, je … je n’en parlerai pas tout de suite. Je veux … je voulais juste te le dire. Donc.. voilà, c’est fait, on en parle plus.

Ce n’était pas tout à fait lui dire la vérité, mais ce n’était pas lui mentir, sa conscience s’en tiendrait là pour l’instant. Ils approchaient de la salle de musique, le hasard semblait être de son côté aujourd’hui.
Il adressa à Cael un sourire désolé; il n’en dirait pas plus, mais c’était parce qu’il ne voulait pas lui faire peur. Qu’il parte. C’était égoïste, mais il avait déjà décidé d’être égoïste, et il ne voulait pas le faire partir.

-Je pense que… c’est dans ce coin, non? Fit-il d’une petite voix.

L’adolescent hocha tranquillement la tête. Peut-être aurait-il mieux fait de se taire. Si jamais il ne trouvait jamais la force de lui dire? Ce serait cruel comme silence.
Dimitry s’engouffra dans la pièce. Il n’avait pas pris le cours de musique; Par manque de temps. Il devait travailler pour payer ses études et pour aider son frère. Malgré tout, cette salle lui faisait envie. Plus accueillante que son cours de math, ça c’était sûr. Le garçon caressa un bureau distraitement. Cet endroit était immense. Alors que Cael disparaissait à la recherche du clavecin, Dimitry se permit de prendre place dans les gradins. Une vraie représentation privée, se dit-il avec un sourire en coin. S’appuyant sur le banc d’en avant avec ses coudes, le menton sur ses poings, il sourit à son ami.
À chaque fois qu’il chantait, le garçon ne pouvait s’empêcher de trouver qu’il avait… un je-ne-sais-quoi qui le faisait sourire. Comme si il émanait de lui une aura spéciale qui le faisait se sentir bien, automatiquement, même si la chanson n’était pas joyeuse. Et quand celle-ci était joyeuse – comme celle qu’il entendait présentement (et qu’il supposait joyeuse)- c’était une explosion dans son ventre. Dans sa tête, les notes se dessinaient sur une portée imaginaire qui tournoyait au dessus de la tête du castrat, comme un karaoké de partition. Ses yeux lui dessinèrent des ailes et son sourire lui adressa un encouragement muet lorsqu’il se trompa. Peut-être l’avait-il déconcentré par sa présence.
Dimitry ne bougeait pas d’un poil. Il attendit patiemment la fin du morceau pour applaudir chaudement le chanteur. Il en avait même oublié de réfléchir à un opéra; il en connaissait si peu. Comment faire à présent pour complimenter son chant alors que les mots lui manquaient. Magnifique lui semblait un peu faible comme comparaison.

-Tu es époustouflant, s’entendit-il dire. Je n’avais jamais encore entendu… l’opéra de cette façon.

Il se leva et s’approcha.

-Je n’ai pas de fleur à lancer, c’est bête. La prochaine fois, je ne viendrai pas les mains vides.

Le garçon s’assied sur la scène après avoir déposé son couvre-chef à ses côtés.

-Mais peut-être que tu voudrais quelque chose de plus original? Je n’ai jamais assisté à beaucoup de spectacle, donc je suis peut-être trop attaché aux clichés, ajouta-t-il avec un sourire en coin. Qu’est-ce que tu voudrais recevoir?

En tailleur au pied du clavecin, Dimitry chercha le regard de Cael avec le sien pour le croiser timidement et accompagner la rencontre d’un large sourire. Bien sûr il savait que ce n’était pas un véritable concert, mais il avait envie de le remercier. Sans trop savoir pourquoi. On avait besoin d’une raison particulière pour acheter des cadeaux à des amis? Probablement. C’était une raison suffisante, selon Dimitry.
Depuis combien de temps fixait-il ses pupilles en silence? C’était comme… des pierres précieuses. Écoutant d’une oreille distraite les propos de sa conscience, il laissa les feux d’artifices se propager dans sa poitrine jusqu’à son bas ventre. Euh… peut-être pas le bas-ventre, mieux valait l’éviter, celui-là. Jamais content, toujours sur le qui vive, il finirait par le faire plier et ouvrir sa grande trappe. Déjà sa pomme d’Adam s’amusait à faire le yo-yo, aussi espérait-il que Cael ne remarquerait pas ce détail, mais détourna le regard et fit taire le feu de joie par pure précaution.

Descendant un peu de son nuage, Dimitry crût remarquer un léger changement de comportement chez son interlocuteur. Quelque chose n’allait pas? En tout cas, malgré l’animosité de son compagnon à l’idée de recevoir quelque chose, il se promit intérieurement de lui dénicher un petit quelque chose. Les lys lui iraient bien, remarqua-t-il. C’était des fleurs plus originales que les roses, sans être trop extravagante. Des lys blancs, tiens. Ça cadrait parfaitement avec sa personnalité. Enfin, la personnalité qu’il lui avait vu jusqu’ici.
Quant à un air, il dû creuser un bon moment avant d’avoir un nom sur le bout des lèvres. Un opéra que sa mère aimait beaucoup, mais qu’elle ne devait pas avoir nommé assez souvent pour que le nom sorte spontanément. Dimitry commençait d’ailleurs à croire qu’il se cachait dans les tréfonds de sa mémoire, lorsqu’il se dessina tout seul dans sa tête, le nom d’un opéra que ça mère n’aimait pas, mais qu’il se souvenait avoir entendu quelque part.

-Euh… Tu connais l’opéra #2? Je pense que c’est chanté par un type… son nom commence par V…

Aucune réaction de la part de Cael. Il ne connaissait pas? En même temps, il n’était pas très précis dans ses explications.

-Je peux chercher autre chose, un truc plus connu, peut-être?

Après avoir émit un léger rire nerveux et observé le même stoïcisme chez son ami, Dimitry haussa légèrement un sourcil. Qu’est-ce qu’il lui arrivait?

-Euh… Cael?

Pas de réponse. Cette fois, l’adolescent comprit que quelque chose n’allait pas. Il n’était pas simplement dans la lune, il semblait complètement ailleurs.
Et la dernière fois que Dimitry avait vu cette expression, c’était sur le visage de son frère. Un sentiment de panique s’empara du garçon alors qu’il se levait pour agiter inutilement sa main devant le regard vide du castrat.

-Eh...Répond-moi….

Aucune réaction, aucun bruit, il continuait de pianoter en murmurant des notes que les oreilles de Dimitry n’avaient pas le temps d’écouter, à la recherche d’une phrase qui signifierait que son ami l’a entendu. Qu’il lui jouait un tour stupide ou bien qu’il était simplement perdu dans ses pensés. Qu’il allait revenir. Il fallait qu’il revienne!
Sans le vouloir, des larmes miroitèrent dans ses yeux sans réussir à couler sur ses joues. Qu’est-ce qui se passait? Était-ce de sa faute? Il se mordit la lèvre et le prit par les épaules.

-Dis quelque chose, Cael ! Hurla-t-il.

Sa voix tremblait de peur, comme ses mains. Il avait déjà vécu cette situation une fois, ça ne pouvait pas recommencer. Pas aujourd’hui, pas avec lui. Il devait se réveiller, lui parler, sourire encore. Chanter. Rire.

-Dis-moi que c'est une mauvaise blague ...

Avait-il remarqué ses larmes? Probablement, sinon il n’aurait pas agis de la sorte.
Son ami espérait que ce n’était pas à cause de lui qu’il avait peur, et pour éviter de le responsabiliser, Dimitry préféra se taire. En fait ce n’était pas à cause de lui qu’il avait peur, c’était pour lui qu’il avait ressenti cette inquiétude. Ce regard vide, si jamais il n’en était pas revenu, de cet endroit lointain qu’était le fond de son crâne, qu’aurait-il fait? Le blondinet fixa les yeux de son compagnon, ils n’étaient plus vitreux comme tout à l’heure, ils étaient vivant. Il ne vit pas son sourire, il le sentit et lui rendit en rencognant ses larmes.

-T-tu m’as fait peur, chuchota-t-il en sentait ses doigts sur ses joues.

Cael lui dit de ne pas s’inquiéter. Impossible. Il pourrait essayer, mais pour être franc, il n’avait même pas envie de se donner cette peine. La dernière fois qu’il avait décidé de laisser passer un événement anormal…
Non. Il ne pouvait pas faire taire ce qui lui disait de l’aider. C’était comme voir quelqu’un sur le point de se couper la main et de fermer les yeux plutôt que le prévenir. Impossible d’oublier ce qu’il venait de se passer. Il n’en serait pas capable.

-Cae… Il s’interrompit lorsque le jeune homme le prit dans ses bras, surpris.

Son souffle sembla se suspendre une ultime seconde où il se crispa juste avant de lui rendre son étreinte. Ça pouvait avoir l’air étrange vu de l’extérieur, mais peu lui importait au fond. Il eût à peine le temps de refermer ses bras qu’il le repoussa, pas violemment. Dimitry avait simplement été trop lent pour suivre le mouvement.
Un défi? Comme si il avait la tête à ça, à présent.

-J’avais proposé l’opéra numéro deux… c’est chanté par Vitas. Un chanteur russe. Je te demandais si tu connaissais.

Comment pouvait-il parler ainsi d’un sujet aussi banal après ce qui venait de se produire. Il se dégoutait d'être un si piètre ami. C’était comme si il venait de hausser les épaules en voyant quelqu’un se faire battre juste sous ses yeux! Bon, peut-être était-ce une comparaison un peu exagéré, mais il avait tout de même cette impression de fermer les yeux sur un événement grave. Il fallait qu’il fasse attention à Cael, c’était quand même son seul ami. Sans être un expert, Dimitry pouvait affirmer que les amis, ça ne faisait pas ce genre de chose. Ça insistait, et si ça n’insistait pas, lui, il insisterait!
Il ne ferait pas la même erreur deux fois. Le garçon se l’était promis. Il passa sa main dans sa chevelure auborne, tiraillé entre son petit ange et son minuscule démon. Se taire, parler, se taire parler.
Sa main se posa sur l’épaule du castrat.

-Tu ne veux pas aller à l’infirmerie? Ou te reposer? C’est peut-être de la paranoïa, mais je … je me ferais moins de souci si je te savais entre de bonnes mains. En tout cas de meilleures mains que les miennes.

L’adolescent relâcha son épaule et s’en alla ramasser son couvre-chef qui avait roulé un peu plus loin dans l’agitation. Il l’épousseta et se perdit dans le feutre bleu.

-J’ai déjà perdu quelqu’un parce que je ne me suis pas assez inquiété, je ne veux pas que ça recommence.

Il lui adressa un nouveau sourire et s’assied en tailleur au pied du clavecin.

-Mais je respecterai ton choix si tu n’as pas envie d’y aller. (Il sourit plus largement en se donnant un air provocateur.) Après tout, si jamais tu souhaites te défiler, libre à toi, je sais que ce n’est pas à la porter de tout le monde, de chanter comme Vitas.

Bien sûr qu’il savait que Cael en était capable, mais il souhaitait alléger un peu l’ambiance puisqu’il sentait qu’il l’avait plombé avec de mauvais souvenirs qui tapissaient sa mémoire comme une flaque d’eau sombre dont on ne souhaite pas s’approcher, mais qui semble toujours nous attendre au détour d’un couloir.
Aujourd’hui, il souriait et la flaque pouvait très bien attendre, il n’avait pas envie de tourner aucun coin, juste ouvrir les oreilles et fermer les yeux pour entrer dans la mélodie.

Cael lui semblait aussi se rembrunir lorsqu’il mentionna une personne qu’il avait perdue. Était-ce parce qu’il lui rappelait quelqu’un ou parce qu’il ressentait ce que lui-même vivait présentement?
Dans l’espoir de faire oublier à son ami un mauvais souvenir qu’il lui aurait rappelé hypothétiquement, il se concentra sur la musique. Les partitions qui s’imprimaient sur l’intérieur de ses paupières à mesure que le chanteur poussait les notes en l’air. Sans rouvrir les yeux, il se laissa porter par la mélodie et s’étendit sur le dos, les bras croisés derrière la nuque. Il avait raison. Il était mille fois meilleur que le chanteur original. Son sourire s’élargissait sans qu’il n’arrive à le réprimer.
Les yeux mi-clos, il suivait les poussières qui tournoyaient au dessus de sa tête, imitant des flocons de neige en hiver. La lampe au dessus de sa tête était un soleil qui le réchauffait tranquillement de ses rayons. Dimitry entendait des violons s’ajouter puis des cymbales, un accordéon… un orchestre prit place entre ses deux oreilles et au premier à l’avant de la scène Cael avec son clavecin. Il se sentait soudainement très lourd, comme engourdi, mais bien au chaud. Comme un chat qui se languit au soleil ou encore un lézard qui se détend à l’ombre. Perdu dans ces pensées qui défilaient dans sa tête, il leva un bras vers le « ciel » et attrapa un flocon de poussière.
Il se sentait comme une de ses minuscules amas grisâtres qui flottait ainsi dans le vide bercé par l’air chanté par son ami. Parfois percuté par ses confrères, finalement il s’accrocherait à une poussière adverse. Son regard bicolore se porta vers Cael. Finalement, on finirait tous au sol, autant le faire avec quelqu’un.
Le concert se tût, la portée se termina sur une dernière note et le regard vague de Dimitry se réanima. Ses membres étaient engourdis par la paresse, il ne se releva pas tout de suite.

-Je ne voudrais pas me répéter, mais ta voix est toujours aussi magnifique.

Son vocabulaire n’était peut-être pas aussi imagé qu’il ne l’aurait souhaité, mais l’essentiel était là. Si il avait eût le vocabulaire pour exprimer la puissance d’un sourire sur l’âme ou encore les mots pour décrire la valse des émotions qui tourbillonnaient l’une contre l’autre, changeant de partenaire, glissant sur la piste de danse en suivant le rythme des battements de son cœur. S’il avait eu de quoi expliquer les accords incompréhensibles qui faisaient modifier à leurs guises la cadence de ce tango émotionnel, Dimitry lui aurait dit.
Mais le pauvre maladroit n’avait ni vocabulaire, ni ces mots et rien pour expliquer quoi que ce soit, juste un sourire bête et un compliment bien maigre en comparaison à ce qu’il aurait souhaité exprimer.

-Tu as raison… Vitas, il est nul comparé à toi.

Il se redressa sur son séant et s’éloigna.
Loin, dans les gradins. Si il restait, il continuerait à dire des choses aussi stupides qui, comparé à ce qu'il souhaitait exprimé semblait d'une vulgarité sans égale, ou encore il ferait une bêtise. Dimitry s’assied sur un banc du fond et se cala dans son siège, décidé à ne pas en bouger. De son perchoir, il lui hurla :

-Si je reste là, je vais déranger tes exercices, inventa-t-il. Je vais te laisser travailler, ne t’inquiète pas pour moi.

Le blondinet sourit, même si son ami ne pourrait probablement pas le voir.

-Quand tu auras fini, on pourra faire quelque chose ensemble, si tu veux.

Plus Cael parlait, plus Dimitry se rendait compte des bêtises qu’il avait dit. Il fallait lui pardonner, son cerveau semblait faire la grève tant qu’il ne trouverait pas moyen de faire taire le voisin du dessous qui tapait du pied comme un possédé. La seule chose qu’il voulait, c’était ne pas bouleverser la journée de son camarade qu’il avait déjà beaucoup trop chamboulée à son goût.
C’est vrai, il ressentait ce que lui ressentait et c’était l’une des raisons cachés pour lesquelles il s’éloignait. Si jamais Cael pouvait ressentir ce qu’il ressentait pour lui, il le devinerait. Et Dimitry voulait réussir à combattre le sentiment avant de lui avouer. Ne plus rien ressentir pour lui afin qu’il ne s’inquiète pas. Qu’il ne s’éloigne pas. Maintenant qu’il lui demandait ce qu’il voulait faire, il n’avait plus d’idée. Comme si soudainement, manger quelque chose était anodin, aller dans sa chambre, trop suggestif, aller au parc, trop banal, et le port, trop odorant. Quel crétin.

-Je ne… commença-t-il avant de se raviser et de se lever à nouveau. J’ai pas super faim.

Après s’être demander si il y avait une maladie mentale qui faisant en sorte qu’on ne disait que des informations inutiles et hors propos, l’adolescent prit conscience qu’il était maintenant à mi-chemin entre le point A (là où il était avant de se mettre en route) et le point B (là où se trouvait Cael). Au pied du mur – au sens figuré puisqu’il est toujours entre le point A et B et qu’il s’approche dangereusement de point B- Dimitry finit par se dire qu’il valait mieux oublier ses inquiétudes et ne penser à rien que continuer à s’en faire et trouver le moyen d’inquiéter son ami.

-On pourrait sortir un peu du pensionnat. Errer dans la ville jusqu’à ce qu’on voit quelque chose qui nous plaise… J’ai pas vraiment d’argent sur moi, mais tout n’est pas payant, après tout! On a qu’à jouer les fantômes, comme mon frère disait. Ajouta-t-il en souriant largement.

C’était son activité préférée, « jouer les fantômes », ils se promenaient dans les rues jusqu’à ce que quelque chose leur fasse envie à tous les deux, puis si ils avaient l’argent, ils se laissaient se plaisir et si il ne l’avait pas, ils fixaient par la vitrine ou poursuivaient leur chemin en s’imaginant pouvoir se le payer.
David n’avait jamais été difficile dans la vie. Il n’en demandait pas beaucoup et ne semblait jamais rien demander, à vrai dire. En fait, il ne faisait rien et ne demandait rien. Dimitry s’était occupé de lui; De ses nombreux repas; De ses quelques problèmes; De ses goûts vestimentaires affreux. Un sourire s’immisça à la commissure de ses lèvres. C’était toujours un sujet de dispute, les fameux goûts vestimentaires de son frangin. Horribles, affreux, une insulte à l’esthétique, qu’est-ce qu’ils avaient ri.

-J’ai 15€, c’est environs deux hot-dog au parc, annonça-t-il avant de sortir deux billets de sa poche. Et avec des frites.

Toujours un grand sourire aux lèvres, il désigna la sortie d’un mouvement de tignasse dorée et un sourire invitant.

-C’est pas grand-chose, mais si ça te dis, j’t’invite.

Ça lui fera moins d’argent à investir dans une guitare, mais sur le coup, ça lui passait dix mètres par-dessus la tête. Il jouait dans la boutique depuis des années, le vendeur n’allait pas mourir de le revoir quelques semaines de plus.
Le blondinet imita la même expression que Cael lui avait offerte il y a maintenant de cela une demi-heure.

-Tenté?

Il aurait été impossible de ne pas remarquer la réaction de son compagnon. Dimitry n’avait aucune idée du pourquoi, mais il savait que l’idée de se promener dans la ville n’enchantait en rien le jeune castrat. Finalement, il aurait probablement mieux valut qu’il l’invite dans sa chambre, la réaction aurait été moins forte. Le jeune garçon observa en silence son ami dont le regard semblait caché des événements peu joyeux, comme tout à l’heure dans sa chambre. Ses feuilles volèrent dans les airs et le blondinet eût un mouvement pour les attraper, mais déjà Cael les ramassaient. À chaque fois qu’il agissait comme ça, Dimitry avait envie de le prendre dans ses bras et lui dire que tout allait bien. Mais qu’en savait-il, au final, de qui allait bien ou pas? Il avait fait irruption dans sa vie il y a de cela même pas une heure et il se permettait de s’imaginer pouvoir le protéger de vents et tempêtes! Ridicule, aurait dit sa mère.

-Il n’y a pas à s’inquiéter, le parc n’est pas très loin et tant qu’il fait jour, on ne craint rien, lui lança-t-il alors qu’il disparaissait dans les coulisses. Cette ville, c’est ma ville, je la connais mieux que ma poche. C’est pas dangereux, tu verras. Et puis, t’oublies que t’es avec moi et mes 150 kilos de muscles! (Il fit mine de prendre des poses de m. muscle) Les vilains, je les fais valser d’une pichenette!

Cael revint des coulisses et le grand gringalet lui offrit son plus beau sourire.

-Ça c’est de l’attitude positive! C’est comme ça que je t’aime… enfin que je… enfin, t’as compris où je voulais en venir, balbutia-t-il en tentant de cacher son embarras.

Dimitry se dirigea vers la porte en entrainant son ami d’un mouvement de poignet. S’ils voulaient justement éviter de se faire surprendre par la nuit, mieux valait se mettre en route tout de suite. Après lui avoir jeté un regard en coin, Dimi retint Cael par la manche.

-Si tu n’as pas envie d’y aller, dis-le, je ne veux pas te forcer où te mettre mal à l’aise. On peut très bien aller ailleurs, si tu veux. La dernière chose dont j’ai envie, c’est que tu acceptes pour me faire plaisir et que tu ne t’amuses pas. Ce serait idiot, puisque mon but c’est de te faire plaisir.

Ses yeux verront s’accrochèrent aux siens lui intimant l’ordre muet de parler maintenant ou de se taire à jamais. Voulez vous, Cael d’Eza, aller au par et ce jusqu’à ce que le soir ne tombe? Le suspense était le même que dans ces films où le marié semble pris de doute au moment crucial. Dimitry n’arrivait plus à regarder ailleurs, il voulait attendre une réponse et dès qu’il l’aurait eu, il se permettrait de baisser les yeux.

-Cael, tu es sûr de vouloir y aller? Demanda-t-il aussi doucement que le silence qui s’installe petit à petit dans une foule au début d’un spectacle. Répond-moi franchement…

À vrai dire, il était persuadé de faire d’un petit tas de sable une montagne insurmontable, mais Dimitry n’avait jamais su faire la différence entre les deux. Pas qu’il soit un paresseux modèle, mais il craignait toujours de déplaire aux autres. Depuis sa mère, cette phobie c’était développée. À coup de « fils ingrat » et de « pas normal », il avait finit par se voir avec les yeux de sa mère. C’est vrai qu’il n’avait rien pour être normal. Il était : beaucoup plus grand que les garçons de son âge, beaucoup trop maigre pour être athlétique, il avait les yeux verrons, brisait tout ce qu’il touchait et même, assez souvent, ce qu’il ne touchait pas. Aucune mère ne saurait être fière d’enfanter un tel gâchis de cellules reproductives, le garçon ne s’était jamais raconté de telles histoires. Simplement, il lui fallait s’adapter. Être normal. Ça, il ne savait pas comment faire. C’était comme demander à un éléphant de se mettre à nager sous l’eau et devenir carnivore.
Intérieurement, Dimitry nota qu’il devrait tenter de manger plus de viande et poussa gentiment ses souvenirs dans les méandres de son passé. Ils n’étaient pas solliciter, pas aujourd’hui, ni demain et ils feraient mieux de se tenir tranquilles!
Cael multipliait les sourire tel un consommateur de dentifrice satisfait et Dimitry regardait ailleurs, à chaque fois. Mieux valait éviter les battements de cœur trop rapide pour éviter qu’ils ne deviennent une habitude. L’idée était bonne, mais plutôt vaine puisqu’il finissait toujours par ressentir la même chose en fixant ses yeux.

« Je suis maudit. »

Perplexe, Dimitry fixa son interlocuteur, entrant dans une intense phase de réflexion. L’eau du lac rendrait la peau plus douce? Ça expliquerait le nombre de baigneur par année. Lui qui avait toujours crut à une histoire de chaleur et de frénésie de l’été.
Le regard bicolore du jeune homme parcourut le visage livide du chanteur. Il lui avait semblé très doux, déjà. Il baissa instinctivement les yeux vers sa main. Il lui restait encore des résidus ivoirins sous les ongles. Un sourire confus s’étendit doucement sur les lèvres du gringalet alors qu’il se précipitait à la suite de son ami dans les couloirs.

- Ça, ça reste à voir : Mon frère comparait toujours mon ventre à un trou noir. À mon avis, ton portefeuille rendra les armes avant lui.