L'arrivée au pensionnat.

Terminant de ranger ses affaires en glissant la lettre au fond de son sac qui l'avait suivi durant ses dernières années de cours, Amshel jeta un dernier coup d'oeil à sa chambre. Des bouquins, quelques pièces d'un échiquier, d'autres lettres, bien moins importantes, un lit simple, des volets ouverts, des nuages sombres.

« Belle journée pour quitter la maison. »

Fermant lentement la porte de sa chambre, il commença à descendre les marches de l'escalier qui le mena au rez-de-chaussée. Sa mère et sa soeur étaient là, la mine légèrement triste, à attendre que le jeune homme s'en aille.

« Je vous écrirai. »

L'échange ne fut pas plus long, Amshel n'avait pas de relation particulièrement poussée avec sa famille, ainsi, l'idée d'adieux déchirants ne lui avait même pas effleuré l'esprit. Saluant le mystérieux homme habillé de noir à l'extérieur, il grimpa dans la calèche qu'il lui indiqua, sans surprise de ce véhicule qu'il avait peu, si ce n'est jamais vu. Le jeune homme ne regarda pas l'unique lieu où il avait vécu pendant 18 ans, même en étant conscient que c'était sans doutes la dernière fois qu'il voyait cette maison avec son petit jardin. Aucun regrets, il enferma son passé au fond de sa mémoire, et se concentra essentiellement à ce qui l'attendait, tout ce qui comptait à présent, c'était son futur. Il n'avait pas trouvé beaucoup d'informations sur ce pensionnat, mis à part le fait qu'il existait depuis de nombreuses années, et qu'il était très réputé pour les qualités des élèves qu'il recevait. Ce dernier détail fit sourire Amshel, après y avoir réfléchi pendant la dernière nuit qu'il avait passé 'chez lui', il avait cherché quelle qualité particulière avait pu intéresser le directeur du pensionnat, certainement auteur de la lettre d'invitation qu'il avait reçue. Dans l'absence de réponse, il s'était endormi, le sourire au lèvres, l'air amusé. Les légères secousses des roues sur les pavés sortirent Amshel de ses songes. Jetant un coup d'oeil vers l'extérieur, il fut surpris de ne pas reconnaître le paysage ambiant. Depuis combien de temps se trouvait-il dans cette calèche ? Il n'en savait rien, même si au final, ça n'avait pas beaucoup d'importance, plus vite il arriverait, plus vite il pourrait nourrir sa curiosité grandissante. Reconnaissant le parfum de la mer, le jeune homme fut invité à descendre par l'inconnu en noir qui était resté silencieux durant toute la durée du voyage. Il suivit la silhouette sombre sur plusieurs mètres qui la mena vers un petit bateau à voile. Sautant dessus, il accomplit quelques manœuvres qu'Amshel ne chercha même pas à comprendre tellement son envie de partir vers l'horizon était forte. Le pensionnat avait été construit sur une île, il avait lu ça quelque part, peut-être dans sa lettre, ce qui expliquait l'utilisation d'une embarcation.

« Le bateau se dirigera vers l'Île, tant que ne toucherez rien. Tout ce que vous avez à faire, c'est attendre. »

Sa voix était faible, presque un murmure, mais Amshel avait compris chaque mot qu'avait prononcé l'homme. Il voulut lui répondre, lui poser des questions, mais déjà l'inconnu s'écartait du bateau, qui commença à défiler sur l'eau. L'humain se demanda pourquoi ce dernier ne l'accompagnait pas, mais il devait avoir ses raisons, pourquoi pas un mal de mer, après tout ? Regardant droit devant lui, il ne voyait tout d'abord que l'eau et le ciel grisâtre. Magnifique tableau qu'il contemplât aussi longtemps qu'il put, car, au bout d'une heure peut-être de voyage, un brouillard épais vint cacher cette vision merveilleuse. Ne s'inquiétant pas plus que ça, Amshel attendit, non sans ignorer le sommeil lourd qui commençait à le prendre. Pourquoi était-il si soudainement fatigué ? Il avait pourtant passé une nuit de sommeil pas moins normale que les précédentes, et pourtant, il ne put retenir ses yeux, qui se fermèrent doucement, laissant place au noir total, et au silence.

Un bruit de vague le réveilla, au bout d'on ne sait combien de temps. Observant chaque détail du décor qui l'entourait, piqué par sa curiosité, Amshel retrouva toute sa vigueur et pour la première fois depuis longtemps, un certain entrain. Un homme l'attendait sur le quai vers lequel se dirigeait le bateau, qui effectivement, avait effectué le trajet sans aucune intervention humaine. Levant les yeux vers cette nouvelle silhouette, Amshel aurait pu jurer que c'était le même homme qui avait assisté à son départ, mais trouvant cette idée absurde, il cessa d'y penser. Quittant le bateau, il jeta un coup d'oeil autour de lui. Une côte, des bateaux, une ville peut-être, plus loin, et, de l'autre côté, un bâtiment beaucoup plus imposant, qu'il jugea être le fameux pensionnat. Un signe de l'homme en noir le tira de sa contemplation, et il reprit sa route vers le grand bâtiment. Ils marchèrent dans un mouvement parfaitement identique, comme si Amshel suivait son ombre, des questions lui vinrent à l'esprit, mais il n'y prêta pas attention, pas encore. Arrivés devant d'immenses portes, l'inconnu l'invita à entrer, replaçant son sac sur l'épaule, le jeune homme s'exécuta.

Le Hall était immense, le plafond exagérément haut, des bancs, des vitrines, des bibliothèques, de multiples portes, un grand escalier, plus loin. Amshel chercha ce qui pouvait ressembler à un bureau, lorsqu'il aperçut enfin une porte sur laquelle était écrit : 'Mr le Directeur, Barsanuphe Bartavelle'. Fouillant dans son sac, il en extirpa la lettre qui l'avait invité ici. Jetant un rapide coup d'oeil à cette dernière, il releva le nom de Barsanuphe Bartavelle, qui était donc l'auteur de cette invitation. La première chose qu'il se devait de faire en arrivant ici, c'était remercier cette personne, question de principe. Ainsi commença-t-il à se diriger vers ledit bureau, avant d'être interpellé par une demoiselle à la voix assez gênante, qu'il regarda, l'air interrogateur.

« Mademoiselle Tickles, secrétaire de Monsieur le Directeur, vous êtes ?
- Je m'appelle Amshel, Amshel Goldschmidt. J'ai reçu une lettre quémandant ma présence au pensionnat, c'est pourquoi je suis ici.
- Hm, un nouveau, je vois. »

Elle remonta ses lunettes, et s'approcha de la porte, Amshel en fit de même. La jeune femme frappa, avant de s'éclaircir la voix.

« Monsieur, j'ai ici un nouvel élève qui vient tout juste d'arriver, je le fais entrer ? »

Desdemona était, comme toujours, dans le bureau de son cher cousin. Il lui faisait enfin cette manucure qu'il lui avait promis. Quand il eut terminé, elle se leva, contente de pouvoir bouger de nouveau.

C'est magnifique, Barsa', merci infiniment ! Ne t'inquiète pas, je ne parlerai à personne de tes talents pour le moins... féminins

Elle s'approcha de lui et embrassa sa joue. Elle se mit ensuite à traverser la pièce de long en large, regardant et touchant tous les objets. Son cousin lui fit bien sûr remarquer qu'elle allait gâcher la demi-heure de soins qui venait de s'écouler, et elle lui répondit qu'elle avait des moyens physiques de faire sécher son vernis à une vitesse étonnante. En somme, leur conversation n'était pas très enrichissante. Soudain, Desdemona entendit la désagréable voix de Miss Tickles, au bout du couloir.

Je peux la tuer, s'il te plaît ? Allez, elle le mérite bien, cette... chose...

Monsieur, j'ai ici un nouvel élève qui vient tout juste d'arriver, je le fais entrer ?

Oh, un nouvel élève !! Cool !

Desdemona se précipita et ouvrit la porte. A côté de la vieille sorcière se tenait un jeune homme d'une beauté frappante, désarmante même, mais Desdemona et son éternelle confiance en elle ne se laissaient jamais démonter par un mâle, aussi étourdissant soit-il. D'un air naturellement chaleureux, elle s'avança donc vers lui en lui tendant la main.

Salut, je m'appelle Desdemona, et je suis la cousine de Barsanuphe. Entre donc !

Miss Tickles, qui la regardait de travers, fut bientôt mouillée par une fuite d'eau éphémère au plafond, et Des' eut un sourire satisfait quand elle vit son air outré, sourire qui ne s'effaça pas lorsqu'elle se tourna et vit l'air mécontent de son cousin. Elle entra de nouveau dans le bureau, suivie par le nouvel élève.

Barsanuphe était assez fier du résultat, de la couleur qu'il avait créée exclusivement pour Desdemona. Il sourit en la regardant et rangea ses affaires dans un tiroir pour sortir un paquet de copies. Il commença à les corriger.

Tu ne devrais pas tout toucher comme tu le fais, je ne me suis pas acharné pendant une demi-heure pour que tu ruines tout.

Il leva les yeux au ciel en l'écoutant dire que c'était déjà sec et retourna à ses copies. Finalement, lorsqu'elle parla de Miss Tickles, il boucha son stylo, à quoi bon essayer de travailler en sa présence?

Laisse-la! Déchaîne-toi plutôt sur la petite peste insupportable... Isabella De la Rosa. Et calme toi un peu, ne va pas effrayer ce nouvel élève. Faites-le entrer!

Il adorait sa cousine, plus que ça même, mais elle se montrait si immature parfois! Et il dût, une nouvelle fois, se contenter de la regarder faire, impuissant. Il fronça les sourcils, tâchant de paraître énervé lorsqu'elle déversa de l'eau sur Miss Tickles, cela dit, si ça pouvait la rendre plus compétente.
Il se leva et fit le tour de son bureau pour accueillir le nouvel élève. Il lui tendit la main, souriant.

Bonjour, jeune homme, et bienvenue dans mon pensionnat! Je vois que ma cousine a déjà fait votre connaissance. Prenez un siège, je vous prie. Des' ce serait trop te demander que de réclamer ton départ je suppose... Assieds-toi et tâche de rester tranquille...

Discrètement, Fauteuil était passé de l'autre côté du bureau, laissant Trône seul, et avait été rejoint par un autre. Barsanuphe reprit place sur Trône et invita les deux adolescents à s'assoir.

Bien! Commençons par le commencement. Du thé?

Des filles, il en avait vu, sans doutes des milliers. Ses plus jeunes années s'étaient déroulées dans la plus grande normalité, ainsi avait-il vécu avec un cadre féminin quelque part autour de lui, mais sans jamais y prêter très grande attention. Ayant perdu l'entrain qu'il avait assez tôt, il ne s'intéressait pas vraiment à cette facette de son existence. Certes, il avait eu des propositions, son physique qu'il jugeait banal en avait charmé plusieurs, il en avait embrassé, aussi, mais pour lui, tout cela était vide, froid, creux. Amshel avait certainement enlacé plusieurs jeunes femmes dans sa jeunesse, mais il avait toujours gardé son air désintéressé, la vérité était éclatante pour lui, elles n'étaient pas intéressantes, pas attirantes.

Oui, des milliers, et pourtant, jamais il n'en avait vu comme cette jeune demoiselle qui venait d'ouvrir la porte du bureau du directeur. Détaillant chaque parcelle de son visage, puis du reste, il ne parvenait pas à détourner son regard de la beauté qui venait d'apparaître devant ses yeux. Sa silhouette était parfaite, ses cheveux magnifiques, un visage indescriptible, et une tenue qui mettait plus que tout en valeur l'intégralité de son physique. Puis, quelques secondes passées, il se reprit. Pour la première fois de sa vie, un membre du sexe opposé l'attirait, ce qu'il trouvait parfaitement étrange. Qu'avait-elle de si différent ? Le jeune homme essaya de se remémorer quelques visages, en vain, son passé était vraiment derrière lui. Un contact frais le ramena cependant à la réalité, la jeune fille lui serrait la main, peau douce et légèrement froide, sensation agréable. Il aurait voulu ne jamais la lâcher.

Salut, je m'appelle Desdemona, et je suis la cousine de Barsanuphe. Entre donc !

Sa voix était douce et chaleureuse, pour la première fois de sa vie, Amshel se sentait être le bienvenu. Cette sensation nouvelle pour lui, il esquissa un léger sourire à l'attention de la demoiselle, qui se retourna après lui avoir fait signe de le suivre. Amshel remarqua au dernier moment, juste avant d'entrer, que Mlle Tickles était trempée, mais il ne chercha pas à comprendre pourquoi. Une seconde voix vint de l'intérieur du bureau, c'était Monsieur le Directeur. Le jeune homme aperçut cette respectable personne contourner son bureau pour venir lui serrer la main.

Bonjour, jeune homme, et bienvenue dans mon pensionnat! Je vois que ma cousine a déjà fait votre connaissance. Prenez un siège, je vous prie. Des' ce serait trop te demander que de réclamer ton départ je suppose... Assieds-toi et tâche de rester tranquille...

Alors cette demoiselle était la cousine du directeur, que pouvait-elle faire avant son arrivée ? Etait-elle élève du pensionnat elle aussi ? Amshel coupa brusquement ses réflexions, il avait bien cru voir un fauteuil se glisser vers celui déjà présent. Riant intérieurement, il garda son calme et son sérieux, comme il l'avait fait depuis tant d'années. Ainsi s'installa-t-il sur un fauteuil, Desdemona sur l'autre.

Bien! Commençons par le commencement. Du thé?
- Avec plaisir.

Le jeune homme fit glisser son sac autour de son bras, et le déposa à terre, entre ses jambes bien droites. Relevant la tête, il s'adressa au directeur.

« Je tenais également à vous remercier pour votre lettre, c'est un réel honneur et un plaisir d'avoir été invité dans un pensionnat si réputé et magnifique que le vôtre. »

Barsanuphe jeta un coup d'œil à sa cousine. Quelque chose l'agaçait, de la jalousie peut-être, ou un simple esprit protecteur. Ce garçon semblait lui plaire. Il veillerait à ce que ça n'aille pas trop loin.
Entendant la réponse du jeune homme il se leva, lançant un regard empli de sous-entendus, et s'engouffra dans un recoin du bureau. Il ouvrit un vaisselier, qui n'était pas là il y avait encore quelques secondes et chercha des tasses qui n'avaient rien d'anormal. Le premier service n'avait pas de fond.

C'est un plaisir partagé, monsieur...

Le dossier du nouvel élève se déroula devant ses yeux.

...Goldschmidt! Je suis ravi d'accueillir des élèves talentueux comme vous l'êtes...

Ces humains étaient naïfs! Croyaient-ils vraiment que leurs dons les intéressaient? La seule élève qui importerait serait la fille du chapelier. Pas que le directeur ait été obsédé comme Dorothy, mais il ne devait pas oublier pourquoi il était là. Il trouva enfin une tasse normale, les deux autres ne se videraient jamais, mais tant que l'humain pourrait finir la sienne, ça n'avait pas d'importance. Il revint vers eux avec un plateau et une théière pleine.
Les accoudoirs s'aplatirent légèrement pour pouvoir accueillir une tasse. Barsanuphe en tendit une à Amshel, et une autre à sa cousine. Il s'assit enfin en soupirant.

Alors, vous êtes doué en piano si je me souviens bien. Du sucre? Nous avons un très bon professeur, et des élèves aussi talentueux que vous, je ne doute pas que vous vous sentirez à votre aise en musique. Mais avez-vous réfléchis aux autres matières que vous désireriez apprendre?

Il finit sa tasse d'un trait et fixa le nouvel élève attendant une réponse. Quelques secondes passèrent, puis il écarquilla les yeux. Un coup d'œil à la porcelaine lui confirma sa crainte. Elle était vide. Il croisa le regard de sa cousine et désigna discrètement sa tasse, légèrement paniqué.

Desdemona buvait tranquillement le thé que son cousin venait de lui servir. Elle avalait son thé tout en observant le beau jeune homme assis à côté d'elle. Il devait se demander ce qu'elle faisait là, mais elle s'en souciait peu. Elle regardait ses yeux, magnifiques, et ne prêtait attention à rien d'autre. Elle ne se retourna vers son cousin que lorsqu'elle sentit des ondes étranges émaner de lui. Elle n'était pas spécialiste de cela, mais étant une sorcière elle se devait de s'y connaître un peu et elle y travaillait beaucoup. Effectivement, son cousin était dans un moment de panique, la regardant avec de grands yeux. Elle ne comprit pourquoi que lorsqu'il désigna sa tasse et que, en y jetant un coup d'œil, elle la vit vide. Amshel ne devait absolument pas voir que sa propre tasse ne se viderait jamais. Desdemona remplit donc sa propre tasse d'eau, par un petit tour de magie très discret, et se leva de sa chaise. Un cailloux vint soudain se placer sous son pied et elle trébucha faussement, mais de façon très réaliste, et tomba sur Amshel, lui renversant sa tasse dessus.

Oh excuse-moi !! Vraiment, désolée ! Je suis vraiment maladroite, mais c'est la faute de ce satané cailloux !

Elle prit sa tasse, celle de Amshel et les posa sur le bureau de Barsanuphe.

Attends, ne bouge pas, je vais trouver de quoi essuyer ça.

Elle alla chercher un torchon plus loin dans le bureau et commença à essuyer la chemise de Amshel qui, par bonheur, ne semblait pas tout comprendre.

A peine s'était-il assis qu'Amshel sentit sur lui le regard de la dénommée Desdemona. Bien qu'il fut tenter de tourner la tête pour croiser ses beaux yeux qu'il savait si près de lui, il se retint, jugeant cela comme impoli vis-à-vis du directeur qui s'adressait alors à lui.

C'est un plaisir partagé, monsieur...Goldschmidt! Je suis ravi d'accueillir des élèves talentueux comme vous l'êtes...

Amshel reçut cette phrase comme un compliment, mais il y avait un petit quelque chose qui le tracassait, comme une fausse note. Le jeune homme tenta de découvrir sur le visage du Directeur la moindre petite expression qui lui prouverait son ressenti, mais rien n'y fit. Il resta cependant quelques secondes dessus, quelque chose clochait, il n'en était pas sûr, mais au fond de lui, c'était comme une petite voix qui le lui murmurait. Enfin, il aperçut le bras de Barsanuphe lui tendant une tasse, qu'il pris délicatement dans ses mains en soufflant un « Merci. ». Portant cette dernière à sa bouche, il savoura le liquide chaud et parfumé qui glissait entre ses lèvres.

Alors, vous êtes doué en piano si je me souviens bien. Du sucre? Nous avons un très bon professeur, et des élèves aussi talentueux que vous, je ne doute pas que vous vous sentirez à votre aise en musique. Mais avez-vous réfléchis aux autres matières que vous désireriez apprendre?

Amshel but une nouvelle gorgée de thé, qui était encore meilleur sucré.

« Le piano, en effet, mais découvrir d'autres instruments ne devrait pas me déplaire, ainsi que la peinture, peut-être, et pourquoi pas le chant, même si... »

Il n'eut le temps de terminer sa phrase, surpris alors par l'arrivée d'une magnifique créature sur lui. Son cerveau essayait d'enregistrer le plus d'informations possible, désireux de ne rater aucune miette de ce qui était en train de se passer. En effet, Desdemona venait alors de lui tomber, tel était le mot, dessus, renversant par la même occasion le contenu de sa tasse sur sa chemise noire. Elle était si près, il pouvait la toucher, l'admirer, la sentir. Mais Amshel se reprit, désemparé par les pensées qui lui avaient alors traversé l'esprit, elle était différente, c'était certain, il n'y avait pas d'autres explications, mais cela n'innocentait en rien le stupide état d'esprit dans lequel il commençait à se trouver.

Oh excuse moi !! Vraiment, désolée ! Je suis vraiment maladroite...

Il n'entendit pas le reste de sa phrase, bercé par le doux son de sa voix. Cela aurait pu durer des heures, il en aurait savouré chaque seconde. Il se concentra à nouveau, chassant ces pensées de sa tête, loin de lui l'envie de devenir idiot.

Attends, ne bouge pas, je vais trouver de quoi essuyer ça.

La jeune fille se redressa pour attraper leurs tasses qu'elle déposa sur le bureau, après quoi elle se munit de ce qui semblait être un torchon, qu'elle vint frotter énergiquement contre la chemise d'Amshel, sans doutes pour nettoyer sa maladresse. Le jeune homme observa un court instant ses vêtements, il y avait effectivement une marque témoignant de l'humidité du tissu, mais il ne descella pas la couleur du thé qu'il avait déjà eu le loisir de subir sur ses vêtements durant sa jeunesse. Etrange, mais le garçon trouva mal placée l'idée de questionner la demoiselle, il se contenta alors de lui attraper délicatement la main pour arrêter son geste. Sa peau était toujours aussi douce et fraîche.

« Ce n'est pas grave, je m'en occupe. »

Amshel saisit le torchon et commença à le faire glisser des mains de la jeune fille, pour lui faire comprendre qu'il pouvait terminer ce petit nettoyage lui-même. Il parvenait à s'habituer un peu à elle, réussissant de mieux en mieux, au fil des minutes, à garder son calme, son sérieux, et son silence, malgré sa présence alors de moins en moins perturbante. Content de lui, pour la première fois depuis un certain temps, il esquissa un léger sourire à l'attention de Desdemona.

La catastrophe avait été évitée. Pas pour le jeune homme qui se retrouvait trempé, mais au moins il n'avait pas vu les propriétés pour les moins magiques de la tasse. Ce genre de services étaient à la mode dans les boudoirs et autres salons de thé de Psycadélice, après des débuts difficiles, le thé se refroidissant, ou encore l'impossibilité de vider la tasse, elles avaient finalement trouvé leur place, parce qu'elles permettaient de discuter sans se soucier de remplir la tasse ou de la température du thé.. Il les intervertit de façon à ce que la tasse normale se retrouve en face d'Amshel et fit mine d'être catastrophé par ce qui venait de se produire.

Des' enfin! Ce que tu peux être maladroite! Mais quelle idée! Regarde-le il est trempé!

~Bien joué cousine! Je n'aurais pas fait mieux!~ Il cacha son sourire derrière une mine agacée. Mais le résultat était satisfaisant.

Je suis navré, jeune homme. Je vous sers une nouvelle tasse immédiatement.

Il remplit le bonne tasse et la poussa vers lui tandis que les adolescents s'affairaient à nettoyer. Décidément, les humains étaient bien naïfs, quiconque à Psycadélice aurait découvert le pot aux roses, mais un humain... Il les laissa reprendre leurs esprits avant de continuer, plus calmement.

Où en étions-nous déjà...? Oh... oui! Quels autres instruments vous intéresseraient? Le violon? Le clavecin? Et vous parliez de chant également, n'est-ce pas?

Il sourit, et prit une gorgée de thé, cette fois, la contenance resta la même, il jeta un regard amusé à sa cousine.

Des' enfin! Ce que tu peux être maladroite! Mais quelle idée! Regarde-le il est trempé!

Bien que compréhensible, Amshel fut légèrement surpris du ton qu'avait employé le Directeur. Il l'avait jusque là vu très calme et semblait-il patient, cependant, le comportement de sa cousine semblait l'avoir agacé fortement. Terminant d'éponger le liquide qui commençait à disparaître de sa chemise, le jeune homme déposa le torchon sur l'accoudoir de son fauteuil. Le directeur lui tendit une nouvelle tasse, qu'Amshel s'empressa de boire, certain de découvrir quelque chose en agissant ainsi. Hélas, il put sentir le liquide brûlant lui traverser tout le haut du corps, et spectateur de sa tasse maintenant vide, il se contenta de taire un râle. Il se redressa ensuite et croisa les bras, puis s'adressa, après avoir jeté un regard du côté de Desdemona, à Monsieur Bartavelle qui lui rappelait ses paroles avant la catastrophe.

« Après mûre réflexion, je pencherais plus pour le violoncelle, et finalement, laissons le chant de côté, pour le moment. Le théâtre devrait être intéressant également. Je pense que c'est à peu près tout. »

Sa gorge était encore légèrement brûlante, il resta cependant, comme toujours, tout à fait silencieux, le visage impassible. Il observa un instant la pièce, les fauteuils, le torchon, les tasses, Desdemona, il imaginait Mlle Tickles, de l'autre côté de la porte, en train de marmonner quelques menaces, les cheveux encore humides. Reportant son attention sur le Directeur, il se passa une main dans les cheveux, ferma les yeux quelques secondes et soupira, un sourire aux lèvres. Il tourna ensuite la tête vers la jeune demoiselle assise à côté de lui, et plongea dans son regard.

Entendant les remontrances artificielles de son cousin, Desdemona ne put s'empêcher de lui lancer un clin d'œil. Puis, fixant de nouveau Amshel, elle commença à se dire qu'elle ferait mieux de s'en aller, en fin de compte. Les deux hommes parlaient des cours et cela ne l'intéressait pas le moins du monde. Elle avait envie d'aller prendre l'air, maintenant. Quand Amshel la regarda, elle se décida à s'en aller. Elle détourna le regard, se leva et se rapprocha de son cousin. Lui faisant une bise, elle murmura, de façon inaudible à tout humain ces quelques mots.

Heureusement que je t'ai rattrapé le coup, idiot ! Si Dorothy savait, je crois bien qu'elle te tuerait.

Et elle s'éloigna, souriant à son cousin malicieusement. Lorsqu'elle passa près d'Amshel, elle reprit un air indifférent et ne lui sourit que très peu, bien que son regard ait pu la trahir.

Au revoir. Peut-être nous reverrons-nous bientôt.

Elle passa la porte et ferma derrière elle.

Barsanuphe retint un rire lorsque Desdemona évoqua Dorothy. Oui, ils l'avaient échappé bel cette fois-ci. Mais Dorothy n'en aurait jamais rien su. Car il était des choses que même elle, Madame le Maire, la personne la plus importante et influente de Psycadélice, ne savaient pas, et ne saurait jamais. Son bras droit s'en assurait personnellement. Il n'avait rien d'un traître, non, il faisait ça pour éviter qu'elle ne s'énerve. Pour protéger les habitants de Psycadélices, ainsi que les humains. Tous ne méritaient pas un sort aussi cruel qu'elle leur réservait. Non pas qu'il détestât la cruauté, au contraire, il lui trouvait beaucoup de noblesse, mais en revanche, il avait beaucoup plus de difficulté avec l'injustice et les sanctions arbitraires.
Alors oui Il l'avait échappé bel, cet humain, s'il avait découvert ne serait que cette tasse à contenu perpétuel, il n'aurait certainement pas pu rester au pensionnat. Tout comme cette pauvre fille, très douée en peinture, qui croupissait désormais dans un asile parce qu'elle avait été trop curieuse, et qu'elle avait apparemment croisé un des chats de Chester de l'autre côté du miroir. Une chance qu'il ait pu étouffer l'affaire, il en était allé de la réputation du pensionnat. Non, décidément c'eût été dommage et risqué de réserver le même sort au jeune Goldschmidt. Il regarda partir sa cousine et posa à nouveau son regard sur le nouvel élève.

Le piano et le violoncelle... Je vais vous inscrire à ces cours, vous passerez une audition avec les professeurs pour connaître votre niveau. Quant au théâtre...

Il marqua une pause en tapotant son menton.

Si je me souviens bien la première session a commencé de puis une ou deux semaines... mais il y a une deuxième session... Attendez une minute...

Il posa sa tasse et se leva pour aller chercher un dossier sur l'une des imposantes bibliothèques. Il le posa lourdement sur le bureau et le feuilletant en s'asseyant.

Alors... Non... Non-plus... elle, elle n'est plus là... Ah! Vous avez de la chance! La deuxième session a commencé aujourd'hui. Il n'y en a pas demain... comment...?

Il prit un papier et une plume et griffonna quelques indications à l'attention du professeur de la deuxième session. Il signa et tendit le plis à Amshel.

Ci-tôt notre entretien terminé, filez en salle des professeurs et demandez Monsieur Surgey, donnez-lui ça de ma part et expliquez que vous n'avez pu arriver qu'aujourd'hui à cause du retard des courriers, ou une je ne sais quoi. Rassurez-vous, vous n'êtes pas le premier et vous ne serez pas le dernier. Nous accueillons des élèves tout au long de l'année, mais les professeurs ont leurs petites habitudes...

Il sourit et porta une nouvelle fois la tasse à ses lèvres.

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