Un nouvel élève

Depuis des heures il semblait à Nana d'attendre dans le couloir du pensionnat. Les chaises étaient confortables, cependant, l’adolescent ne pouvait s’empêcher de toujours changer de position. Il n’avait pas reparlé depuis la rencontre avec le maire. Beaucoup de choses s’étaient passées. Il avait vécu pendant un petit moment chez Halgazard qui n’avait pas du tout changé. Cependant l’incident qui s’était produit n’avait cessé de hanter le garçon. Nana baissa les yeux regardant ses chaînes. Halgazard avait tenté de les lui retirer par tous les moyens, rien à faire. Dès qu’une clé était insérée dans une des serrures, elle tombait en poussière et le garçon ressentait une douleur indescriptible qui parcourait tout son corps. Avec un soupir, l’homme-allumette avait dû se résoudre à amener le jeune homme au pensionnat avec les menottes aux poignets. L’homme d’affaire s’était affublé d’un déguisement humain assez étrange. Il devait avoir perdu 50 cm de hauteur et prit des allures beaucoup plus normales. Il aurait presque passé inaperçu avec son costume. Mais on parlait ici d’Halgazard, il était difficile pour l’homme de fermer sa bouche plus de 20 secondes. Ainsi donc, il était en grande conversation avec un parent d’élève qui était probablement venu pour motiver le retard de sa fille et qui avait eût le malheur de lui demander si Nana était son fils.
Heureusement pour elle, une dame vînt les avertir que le directeur était prêt à les recevoir. Nana crût apercevoir la femme soupirer de soulagement alors qu’ils s’engouffraient dans le bureau du directeur. Une grande pièce, un grand bureau, deux fauteuils vide, un fauteuil plein. Un homme étrange qui les zyeutait, les sondant silencieusement. Halgazard prit place dans le premier siège, imité par Nana. Après une salutation cordiale, la conversation pût commencer.

-Tout d’abord, merci d’avoir répondu aussi vite à ma lettre. Pardonnez-moi de vous imposer tout cela, sachez que c’est aussi compliqué pour vous que pour moi.

Comme Halgazard était lancé, Nana regarda un peu la pièce, comme à chaque fois qu’Halgazard disait des choses qui ne l’intéressait pas. Il attendit patiemment qu’il ait terminé pour se reconcentrer sur la conversation. Le directeur, lui n’avait pas bronché. Peut-être allait-il juger qu’il n’avait pas sa place dans son pensionnat ? Peut-être allait-il lui lancer le regard que le maire lui avait lancé. Peut-être allait-il retourner chez Hal et y rester jusqu’à la fin. Il pourrait s’enfermer à nouveau dans la bibliothèque. Finalement, le directeur prit la parole, ce qui le tira de ses rêveries.

Le directeur relisait la lettre de cet Halgazard. Se délectant des quelques nouvelles de Psycadélice qu'elle lui apportait. Tranquillement assis dans son bureau il attendait les premier rendez-vous de la journée. Un peu agacé d'avoir dû annuler un cours pour les recevoir, mais cependant heureux de voir des habitants de Psycadélice. Autres que sa cousine. Un guéridon s'approcha de lui, portant une tasse qu'un automate remplit avec la théière qui se trouvait à côté. Il la tendit à Barsanuphe et recula dans l'ombre, théière en mains, tandis que le guéridon semblait attendre. Le directeur le regarda, hautain.

Merci, Guéridon. Allez donc chercher deux tasses supplémentaires ainsi qu'un sucrier... Oh! et n'oubliez pas d'apporter quelques biscuits, vous serez un ange...

Ledit Guéridon sembla hocher du plateau et partit. Barsanuphe buvait une gorgée de thé lorsque sa secrétaire vint l'avertir de la présence de ses invités. Ou plutôt du fait qu'ils attendaient depuis déjà trois bons quarts d'heure. Il posa sa tasse, la remercia en lui disant que oui elle devait leur demander de le rejoindre, et que non il ne voulait pas qu'elle leur apporte un café.

Et n'oubliez pas que je ne dois être dérangé sous aucun prétexte, Miss Tickles.

Elle acquiesça et sortit. Peu après, deux hommes pénétrèrent dans son bureau. Il les salua et d'une geste de la main les autorisa à s'assoir. La porte se verrouilla. Halgazard, lui, il l'avait reconnu, jadis il l'avait aperçu mais sans plus. L'autre en revanche, le jeune homme, il ne le connaissait pas. D'un autre côté il ne connaissait pas tous les habitants de Psycadélice. Il fixa l'adolescent sans perdre un mot de ce que disait l'autre, sans pour autant y accorder une quelconque importance. Si Dorothy aimait écouter, lui en revanche préférait observer et parler. Guéridon revint, portant ce qu'avait demandé le directeur. L'automate, lui aussi, reparut et remplit les deux tasses tandis qu'un autre ouvrit le sucrier et proposa du sucre aux invités. Barsanuphe coupa Halgazard, sans scrupule aucun.

Ca n'a rien de très compliqué. Certes il est étrange, mais y a-t-il jamais eu quelque chose de normal à Psycadélice? Ce que je juge étrange, en revanche, c'est de ne pas trouver son nom dans la lettre.

Un troisième automate vint prendre le plateau de biscuits et, faisant le tour de la table, leur en proposa.

Vous ne vous êtes pas énormément étendu sur ce garçon, ça aussi c'est étrange. Votre lettre est très succinte. Certes elle va droit au but, mais quelques détails n'auraient pas été de trop voyez-vous.

Il trempa un biscuit d'en son thé et croqua un bout.

Je n'ai rien contre son entrée au pensionnat. Son "cas", si je puis me permettre, est très intéressant et éclarcir le mystère qui plane au-dessus de lui promet d'être passionnant. En fait, en ce moment même, ce qui me dérange c'est vous, Halgazard. Je ne vous fais grief d'aucune chose. J'aimerais seulement pouvoir parler, tout du moins essayer, avec ce jeune homme, et je pense qu'il serait préférable pour cela que vous sortiez un instant.

Il lui sourit de toutes ses dents pendant que la porte se déverrouillait.

Nana commençait vraiment à croire que le thé était le seul breuvage qu’il aurait l’occasion de boire à partir de sa rencontre avec Halgazard. Malgré tout, la politesse l’obligeait à toujours accepter, sans broncher et sans grimaces. Il fût d’abord surpris par l’apparence des « serviteurs » du directeur, puis prit les biscuits, remerciant l’automate à l’aide d’un sourire reconnaissant. Mr. Bartavelle était la première personne que l’adolescent voyait couper la parole à l’homme-nouille. Lorsque le directeur mentionna qu’il n’avait pas vu le nom du garçon dans la lettre, Nana baissa les yeux honteusement. Il n’avait jamais dit à Halgazard le nom qu’il s’était fait donner par le vieil homme qui l’avait recueilli pendant les quelques semaines qui avaient suivis son réveil après la noirceur. Probablement que le manque d’information avait été causé par le silence de l’adolescent qui n’avait prononcé pour ainsi dire aucun mot depuis la rencontre avec le maire. Son parent-désigné, lui, semblait encaisser la remarque sans broncher. Le silence de Nana ne l’avait jamais dérangé outre-mesure et il ne lui semblait pas être un défaut à ses yeux. Le directeur parlait de ce qu’il appelait « le cas » de Nana avec la manière de dire des scientifiques qui s’apprête à disséquer un sujet.
Le garçon n’avait aucune envie qu’on l’étudie comme un simple cas et communiqua sa colère à Halgazard avec ses yeux. (Le moyen, maintenant habituel, de communication entre l’homme-spaghettis et le jeune homme enchaîné) L’homme ajusta son monocle d’un mouvement sec et fit tourner son index en l’air pour communiquer au gamin qu’il n’avait pas à s’en faire. Finalement, le directeur invita Halgazard à quitter la pièce, ce qui ne manqua pas de faire réagir Nana qui redressa la tête, comme un chien qui vient d’entendre son maître l’appeler de loin. L’homme haussa les épaules, retira son monocle et se leva pour se diriger vers la sortie.
C’était la première fois qu’il allait se retrouver seul avec quelqu’un, autre que les domestiques. Malgré les innombrables histoires toutes aussi ennuyantes les unes que les autres, lorsque l’homme n’était pas là, c’était un peu comme si Nana n’avait plus aucun repère. Il ne savait plus comment agir, comment se tenir, s’il y avait un piège à une question. Il s’était habitué à communiquer par le biais d’une tierce personne. Lorsqu’il entendit la porte se refermer sur Halgazard, un grand vide envahit l’envahis, il était seul devant cet inconnu qui le toisait. Bien sûr, il n’avait pas l’air méchant ou hostile à lui, comme le maire, mais Nana avait peur de faire le mauvais mouvement, de déraper, dire quelque chose qui froisserait l’homme.
Prenant sur lui, il se détendit du mieux qu’il pût, ce disant qu’Halgazard ne l’aurait pas laissé seul si il y avait des questions pièges ou un danger quelconque. Il se déplaça sur sa chaise, non sans un bruit de chaînes s’entre-choquants, et déglutit avec difficulté. Il avait l'impression que des papillons avaient élus domiciles dans son estomac pour y semer la zizanie. D'ailleurs, ça aurait bien pu être le cas qu'il n'aurait pas été plus surpris que ça. Il ouvrit la bouche pour parler, mais aucun son ne sortit. La deuxième tentative fût plus fructueuse :

- P-Pourquoi lui faut-il sortir? Sa voix ne tremblait pas, mais trahissait son inquiétude face au départ de son compagnon.

Il regarda Halgazard sortir puis son regard revint sur le jeune homme. Le temps que la porte se ferme à nouveau, l'inquiétude avait marqué ses traits. Il s'efforça d'afficher un sourire avenant et se ravisa aussitôt - ses dents, plus aiguisées que celles d'un squale, n'aidaient pas à paraître avenant. Il se souvint aussi que ses yeux rubis durcissaient certainement son regard, aussi il les fit passer du rouge au mordoré. Il attendit un moment, porta la tasse à ses lèvres, s'arrêta lorsque le garçon ouvrit la bouche. Voyant qu'il ne disait rien, il reprit son geste et but un gorgée de thé. Enfin le garçon parla. Barsanuphe sourit.

Réfléchis un peu, mon garçon.

Un temps, puis:

Aurais-tu prononcé un seul petit mot si Halgazard était resté? Sois sincère, je saurais voir si tu me ments, je suis du genre extralucide. Tu es inquiet. Je le comprends, mon apparence n'est pas des plus rassurante, remarque c'est rarement un problème. Mais ce n'est pas de moi qu'on parle. Maintenant que ton tuteur, bavard comme personne, est parti, pourrais-je connaître ton prénom? Et en savoir un peu plus sur toi? Tu vas me trouver curieux, et je le suis. Comprends que j'aime en savoir beaucoup sur mes élèves, d'autant plus lorsque ceux-ci ne sont pas de l'île.

Voyant qu'il hésitait à parler, il lui lança un sourire rassurant, prenant soin de ne pas découvrir ses dents.

Tu n'as vraiment pas à t'en faire. Je suis l'antéchrist de Lady Dorothy, si ça peut t'aider à me cerner. Veux-tu un autre thé? Ou préfères-tu autre chose?

L’adolescent refusa d’un mouvement de tête la tasse de thé. Il avait l’estomac trop noué pour pouvoir avalé quoi que ce soit. Il était vrai qu’il n’aurait probablement pas dit grand-chose si son tuteur était resté, mais il aurait voulu profiter encore un peu de cette complicité peu commune qui s’était installée entre lui et l’homme-baguette. Sans le savoir, en lui demandant de parler de lui, l’homme lui demandait un exploit surhumain. Il n’avait que les souvenirs qu’il s’était fabriqué avec le vieux Yamato et Halgazard. Avant ça, c’était le néant. Un trou noir qui ne laisse rien présager de bon et qu’on tente d’éviter le plus possible, de peur de tomber dedans.

-On m’a appelé Nana, commença-t-il. Ce n’est probablement pas mon nom, mais c’est celui auquel je m’identifie. Je dois avoir environs 15 ans, peut-être 16. Je ne peux pas en dire plus et ne pas mentir, car je ne sais pas d’où je viens, quel genre de personne j’étais, le cheminement scolaire que j’ai fait. Je peux, cependant, vous assurer que je sais lire et écrire sans problèmes majeurs et que j’apprends très vite.

L’adolescent marqua une pause. Le sourire de l’homme le mettait mal à l’aise, malgré son air sympathique. Pourtant, il n’avait pas peur, cet homme ne lui voulait aucun mal, il le devinait. Pourquoi avait-il l’envie de s’enfuir en courant? Nana serra l’accoudoir du fauteuil. Ses mains tremblaient sans raison et il n’avait aucun moyen de les faire stopper. Il avait vu les yeux du directeur changer de couleur et c’était comme si sa respiration était plus lente. Chaque inspiration devenait de plus en plus lourde et difficile, chaque inspiration lui donnait l’impression qu’il allait tourner de l’œil, mais rien ne se produisit.
Rien? Non, un petit changement. Ses yeux qui prenaient des tons un peu plus foncé.

-P-pardon, je ne me sens pas très bien… Je ne… Je ne sais pas ce qui me prend.

Les tremblements cessèrent aussitôt la phrase finie. Nana afficha un sourire mielleux, presque arrogant et sembla aussitôt plus détendu. Il croisa les jambes avec style, un sourire satisfait aux lèvres. L’adolescent relâcha les accoudoirs et s’assied plus confortablement, presque comme s’il était dans son propre bureau, prenant sa joue dans sa main avec élégance, alors que son autre main allait porter une tasse de thé à ses lèvres.

-Si vous avez d’autre question, je suis disposé à y répondre. Un sourire carnassier s’afficha sur son visage. Monsieur le directeur…

Il écouta tranquillement le jeune Nana. Hochant la tête de temps en temps. Il ne considérait pas ce trou de mémoire comme un réel problème. Certes il aurait aimé en savoir plus, mais si Nana ne s'en rappelait pas... Le directeur cacha son amusement devant la nervosité toujours plus grande du jeune homme. Buvait son thé tranquillement. Il faillit cependant s'étouffer en voyant ses yeux changer de couleur. Il ne pouvait être un coloriste. C'est ce qu'il crut tout d'abord. Puis il pensa que Nana était simplement capable de changer la couleur de ses iris, et répondait, par une arrogance insoupçonnée, au changement que lui avait fait. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre que Nana avait une des crises dont avait parlé Halgazard.

La nouvelle attitude du jeune homme le fit sourire. Étrange cette schizophrénie. Impressionnante même. Barsanuphe lui rendit son sourire, rendu plus carnassier encore par ses dents.

Si j'ai d'autres questions? Oui. Premièrement comment as-tu connu Halgazard? Te souviens-tu de plus de chose dans l'état où tu es maintenant? Et connais-tu les causes de ces changements de personnalités?

Il demanda à son bureau de partir pour laisser place à Guéridon. Son fauteuil se rapprocha de celui-ci. Il but une nouvelle gorgée de thé.

Oh... et est-ce qu'entrer dans le pensionnat t'intéresse vraiment ou bien n'as-tu pas eu le courage de refuser la proposition d'Halagazard et du maire?

Il trempa sa soucoupe dans son thé et en croqua un bout avec un naturel déconcertant.

L’adolescent ne perdait pas son sourire. Semblant de plus en plus heureux, il regardait la pièce avec plus de minutie que la première fois. Comme si il se rappelait de certaines choses à propos de ce bureau. Comme si il se laissait aller dans un élan de nostalgie. Il continua son observation silencieuse un instant, comme si il n’avait entendu aucune des questions du directeur. Puis, une fois qu’il eût fini de faire le tour de la pièce, il sembla se trouver un nouvel intérêt pour son interlocuteur.

-Comment l’ais-je connu, je crois bien l’avoir percuté. Je suis parfois si maladroit. (Il prit une nouvelle gorgé de la boisson qu’il posa sur une soucoupe posée sur son genou.) Dans l’état où je suis, je me souviens de choses que même vous ne pourriez vous souvenir. La cause de ses changements de personnalité? Je la connais fort bien, elle est rattachée à mes poignets.

Pour illustrer ses propos, il agita son poignet droit, tenant la tasse de la main gauche, pour que ses chaines émettent un magnifique son de métal froid qui s’entrechoque. Son sourire s’élargit encore, prenant des allures malsaines.

-N’est-ce pas la plus belle musique? ~

Sans attendre de réponse, où plutôt sans laisser à la réponse l’occasion de pointer le bout de son nez, il poursuivit en reprenant son sourire suffisant et inclina la tête comme pour saluer son interlocuteur. Il n’avait pas envie de répondre aux dernières questions qui lui paraissaient aussi futiles que stupides et il laisserait au sous fifre le soin d’y répondre par lui-même.
Les yeux de Nana reprirent leurs reflets verts et intimidé, comme lorsqu’il avait disparu. Et la tasse commença à trembler dans les mains qui la tenaient sur les genoux dépliés du garçon. Perdu un instant, il observa la tasse qui était maintenant sur ses mains et le bureau qui avait disparut pour laisser place au guéridon. Puis, comme si il se souvenait d’un petit détail, il sursauta.

-Ah! Euh… Pardon, j’étais sûrement… j’ai… j’ai eu une absence. J-je n’ai pas été intimidé par le maire ou par Halgazard. Je n’ai aucun endroit où aller de toute façon, alors autant aller quelque part où je ne dérangerai personne. Sans compter que cette école semble remplie de personnes qui me ressemblent. Ce qui n’est pas le cas… là-bas.

Il fixa le liquide doré dans sa tasse de porcelaine blanche. C’était un détail qui lui échappait totalement. Pourquoi était-il comme les gens d’ici? Pourquoi les gens de Psycadélice le regardait-il comme un pestiféré? Pourquoi? Pourquoi?! Pourquoi!
Il serrait la tasse si fort, qu’il crût un instant qu’elle allait couiner en le suppliant de l’épargner. Reprenant son calme, Nana posa la tasse sur le meuble qui le séparait de son interlocuteur, l’air de dire « Va, tu es libre! ».

-Tout ce que je veux c’est être quelque part où les gens ne me regarderont pas comme si j’étais de la nourriture.

Les pensées du jeune homme bifurquèrent un instant vers l’horrible transformation observé chez le maire, il y a de cela quelques mois et Nana ne put retenir un frisson d’effroi.

Ce que disait Nana intriguait profondément le directeur. Et son imprécision attisait sa curiosité. Insinuait-il qu'il était plus vieux que lui? Et pourquoi était-il si allusif? Une nouvelle fois, il trempa sa soucoupe dans son thé et croqua dedans. Son regard perçant fixé sur l'adolescent. Il perçut les changements dans son attitude, dans ses yeux, et comprit qu'il était à nouveau face à l'adolescent timide, ignorant tout sur sa vie.

Une absence oui. Tu te souviens de certains détails qui t'ont traversé l'esprit pendant ton absence?

Il prit une nouvelle gorgée de thé tandis qu'il essayait de trouver les mots justes.

Il y a en effet beaucoup d'humains dans cette école, une majorité même. Ta timidité fera peut-être un peu jaser au début, et je te conseille de faire attention à ces absences, les gens pourraient se comporter différemment. Mais tu ne risques pas de te faire manger, ici, les humains ne sont pas anthropophages.

Nouvelle gorgée de thé.

Le tout c'est que tu te sentes bien ici, et que tu n'aies pas besoin d'un tuteur comme Halagazard. La pseudo-liberté du pensionnat te changera peut-être un peu. Veux-tu que je le fasse entrer ou as-tu d'autres question?

Des détails pendant son absence? Il l’avait vaguement entendu parler, comme si il était perdu dans ses pensés avec un léger bruit de fond. Rien de très original. En quoi ça pouvait intéresser Mr. Barsanuphe ?

-Eh bien… il y avait un léger chuchotement. Je vous entendais parler, mais j’étais comme… ailleurs. Comme lorsqu’on a une absence, non ?

Cet homme était aussi bizarre que les autres. Peut-être même plus. Halgazard avait tenté de lui expliquer un peu la différence entre les habitants de psychadélice et les humains, mais il s’était tellement éloigné du sujet que Nana n’était pas plus avancé, mais il était maintenant capable de faire un superbe soufflé au fromage. Cependant, il commençait assez bien à comprendre le concept.
Le directeur semblait craindre les absences de l’adolescent. Halgazard aussi avait tenté de lui en parler, mais il ne comprenait toujours pas ce que ça avait de si exceptionnel. Cette histoire d’humains anthropophages ne fit qu’accentuer les craintes du gamin. Il ne risquait pas de se faire manger ici ? Ce qui signifiait qu’il y avait peut-être des risques ailleurs ?! C’était le genre d’information qu’il jugeait importante !
L’idée qu’il allait être loin de son tuteur lui tiraillait l’estomac, mais le directeur avait raison. Il allait devoir apprendre à s’exprimer par lui-même, il en était bien capable. Les élèves qu’il avait aperçu semblaient tous très accueillant. Sauf la fille qui lui avait collé une gifle sans aucune raison. Cet événement le laissait encore perplexe. Il apprendrait sur le tas.

-… d’autres questions ?

-Euh… Non, non. Je n’ai pas d’autres questions. Ah ! Si ! Ais-je besoin de matériel scolaire ? Sinon, je ne crois pas avoir grand-chose à ajouter… Si ce n’est merci beaucoup pour cet… cet entretiens.

Un sourire timide s’afficha sur son visage alors que son anxiété commençait à diminuer un peu à l’idée de retrouver son tuteur.
Il allait vraiment devoir régler ce problème.

Barsanuphe ressemblait beaucoup à un docteur examinant un de ses patients. Il hochait la tête lorsque Nana parlait, d'un air de dire:"Je vois..." Mais il ne le disait pas, car au fond, que voyait-il? Un enfant avec un sérieux, très sérieux problème et ce n'était pas de la schizophrénie. Qu'espérait Dorothy? Qu'il identifie le problème! Qu'il éradique l'une des deux âmes qui habitaient ce corps? Il n'était pas là pour ça. Certes il étudierait le cas de Nana, mais par simple curiosité. Il revint à la réalité.

Je m'occuperais de tes fournitures, ne t'inquiète pas pour ça. Tu n'as pas à me remercier, je suis là pour ça après tout... Je pense que ton tuteur peut à nouveau à entrer... Une dernière chose... Tu ne vois aucun inconvénient à te retrouver dans le même dortoir qu'un autre? Humain ou non, ou préfères-tu avoir une chambre seule? Sachant que s'il y a trop d'élèves tu devras de toute façon la partager avec d'autres.

Sans attendre sa réponse il jeta un regard à un de ses automates et hocha la tête positivement. L'automate déverrouilla la porte pour laisser entrer Halgazard et la referma prestement, empêchant à Miss Tickles de voir ce qui se tramait à l'intérieur. Puis son regard se posa à nouveau sur Nana.

Alors?

Il prit une nouvelle gorgée de thé.

Alors que son tuteur reprenait place dans le fauteuil et questionnait l’adolescent du regard, Nana retrouvait peu à peu la confiance qu’il avait précédemment. Ce type avait un drôle d’effet sur lui.
Quant à savoir si Nana désirait une chambre à part où bien une chambre avec quelqu’un, la question resta un moment en suspend. Il fallait faire un choix éclairé. Il avait toujours été seul, mais c’était peut-être un désavantage que d’être seul puisqu’il continuerait à être aussi timide et réservé. C’était une occasion de s’améliorer.
Malgré cela, Nana ne pût s’empêcher de se demander ce qu’entendait le directeur lorsqu’il disait « Humain ou non ». Les gens qu’il rencontrait n’arrêtaient pas de faire la différence. Qu’est-ce que c’était qu’un humain? Ils en parlaient souvent comme si c’était des créatures démoniaques, mais il n’en avait pas vu. Il avait déjà vu des… trucs assez incroyables lorsqu’il vivait chez Hal, des habitants qui avait parfois un physique assez repoussant, voire effrayant, alors si les humains étaient encore pire…

-Je ferai chambre à part. Ça ne me dérange pas. Après tout, c’est plutôt pour l’autre qu’il faut s’inquiéter.

Il bût une gorgé, on finissait par prendre l’habitude des habitants de psychadélice il fallait croire. Halgazard c’était retourné vers lui avec le même regard que lorsqu’il revenait d’une de ses absences.

-Je ne suis pas la personne la plus ordonnée qui soit, rigola-t-il.

Le moulin à parole sembla se détendre sur son fauteuil.

-Eh bien, dit celui-ci en se retournant vers le directeur. Alors? Comment procédons-nous?

Traduction, le ramenait-il avec lui et il attendait un coup de fil, ou bien l’installait-il directement dans une chambre.
Le garçon avait lui aussi cette question qui lui trottait dans la tête. En fait, il se demandait surtout par quel ouvrage il allait commencer.

Barsanuphe posa sa tasse sur Guéridon, celui-ci s'en alla et Bureau revint, sans que Barsanuphe ait à dire quoi que ce fut. Il ouvrit un tiroir et en sortit trois feuilles agrafées entre elles, la dernière comportant un duplicata. Il prit un stylo et griffonna quelques informations sur celle-ci, puis il arracha le duplicata et tendit les trois feuilles à Nana.

Je t'ai placé dans le dernier dortoir, tu y seras seul jusqu'à ce que tous les autres soient occupés. Je vais te demander de remplir ces trois feuilles, ça n'a rien de compliqué, ensuite tu me la ramèneras. Ne perds pas de temps.

Il fouilla à nouveau dans son tiroir et en sortit une liasse de feuilles.

Voici la liste des cours que l'on propose et leur répartition dans la semaine. Tu inscriras sur le formulaire que je t'ai donné ceux que tu as choisi. Si jamais je ne suis pas là quand tu la ramèneras, tu la mettras dans...

Il se leva et ouvrit une grande armoire remplie de cartons. Il sortit une enveloppe en papier kraft de l'un d'eux, revint s'assoir et reprit.

Donc... tu glisseras le formulaire dans cette enveloppe que tu fermeras et donneras à Miss Tickles, ma secrétaire.

Son regard se posa sur Halgazard.

Si je suis désormais responsable de lui, j'espère que vous ne voyez pas d'inconvénient à rester son tuteur légal. Désormais Nana est considéré comme un étudiant comme les autres et n'échappe ni au règlement du pensionnat ni aux lois du monde des humains. Et les humains réclament un tuteur, mais je ne peux pas m'en charger. C'est la seule chose que je vous demande. Je m'occuperais de tout le reste.

Les automates se retirèrent dans l'ombre. Barsanuphe se leva et la porte se déverrouilla.

Bien! Je crois avoir tout dit. Je peux t'accompagner jusqu'à ta chambre si tu le désires, Halgazard aussi.

Nana n’émit aucune objection à l’idée d’être seul. Il était presque soulagé. Être entouré de beaucoup de personne, ça n’était pas son truc. Il avait toujours l’impression de faire quelque chose de mal ou de déplacé. Et encore, ce n’était rien comparé à ce qui arrivait lorsqu’il devait s’adresser à une fille! À chaque fois, il tentait d’être le plus courtois et le plus gentil possible, mais il finissait toujours par recevoir une gifle ou se faire crier dessus. Il y avait de quoi éviter les foules et le mondes extérieur.
L’adolescent saisit les trois feuilles à bout de bras, sans se lever de son fauteuil de peur qu’il ne fonde sur le sol tellement ses jambes étaient molles. Nana lut en diagonale les documents, il pourrait les lire plus en détail tout à l’heure.
Après les explications de Barsanuphe, ils purent se lever et Nana constata avec joie que ses jambes ne se répandirent pas sur le sol, ce qui aurait probablement ruiné la jolie moquette.

-Je ne vois aucun inconvénient, mon cher. Cependant, il faut savoir que m’occuper de ce garçon n’était pas du tout une corvée, loin de là! Il est adorable… la plupart du temps.

L’homme-nouille posa un œil presque paternel sur le jeune homme qui fixait les feuilles que lui avait remis le directeur en sortant la langue à la naissance de ses lèvres. Un tic qu’il avait lorsqu’il lisait.

-D’accord, je veux bien, bafouilla-t-il en levant le nez des documents qu’il avait en main.

Finalement, le garçon rabattit les pages le long de sa cuisse et se dirigea vers la sortie accompagné de son tuteur afin de suivre le directeur hors du bureau. Ils en profitèrent au passage pour saluer Miss Tickles, alors que la mère qui attendait pour un entretien se recroquevillait sur sa chaise pour se soustraire aux regards d’Halgazard.
Direction le dernier dortoir.