Tribulations de deux psycadéliciens en ville

Barsanuphe et Desdemona sortirent du pensionnat. Lui à grandes enjambés lentes, qui le faisaient déjà avancer très vite, elle courait presque pour ne pas se faire distancer. Il avait tendance à oublier que même en marchant normalement il pouvait facilement rattraper un coureur.
Il s'arrêta aussi brusquement qu'il marchait vite et dut attraper sa cousine par l'épaule pour l'empêcher de finir sur la route.

Ne vas pas te faire renverser par une de leurs automobiles. Elles sont très fragiles et les humains ne sont pas familiarisés avec l'immortalité.

Comme pour avérer ce qu'il venait de dire, une ambulance passa à toute allure devant eux pour s'arrêter à une centaine de mètres plus loin vers un corps gisant dans une marre de sang devant une voiture au pare-choc enfoncé.
Il se remit en marche en tirant légèrement sa cousine.

Ne fais pas attention au sang, il est aussi vicié que l'air.

Ils arrivèrent à l'entrée de la ville. Barsanuphe leva la tête pour observer l'immense porte qui accueillait les visiteurs, de l'art psycadélicien à n'en pas douter, les humains l'avaient conservée, incroyable.
Il baissa les yeux et se faufila dans une ruelle, jetant un coup d'œil par-dessus l'épaule pour s'assurer que sa cousine le suivait toujours. Il continua ainsi pendant une bonne dizaine de minutes à serpenter dans les ruelles les plus désertes sans aucune hésitation. Jetant des regards alentours à chaque croisement. Il était d'un naturel déconcertant. Rien dans son attitude ne laissait présager l'angoisse qui le rongeait.
Ils débouchèrent sur une avenue bordée de boutiques et bureaux en tout genre. Du simple apothicaire à la banque prestigieuse. Barsa s'arrêta devant un petit bureau dont les vitrines teintées laissaient deviner une multitude de guichets.

Attends-moi là, je vais chercher nos billets.

Il s'engouffra dans la boutique et sortit peu après, tickets en mains. Il en tendit deux à sa cousine et tous deux partirent vers l'arrêt le plus proche.

Quelques minutes plus tard, ils se retrouvèrent entassés dans une invention typique de la fainéantise humaine, un transport à la mode, le tramway.

Desdemona marchait aux côtés de son cousin. Elle était à la traîne, car Barsanuphe marchait à grands pas, et, si elle l'aurait aisément rattrapé et distancé en courant à une vitesse plutôt moyenne, elle préférait ne pas le faire. Car, contrairement à son cousin, elle n'avait pas oublié quelque chose de très important : ils étaient parmi les humains et ne devaient pas de faire remarquer. Elle était perdue dans ses pensées et remarqua à peine la magnifique entrée de la ville, dont l'architecture était beaucoup plus qu'humaine, cela était certain. Les humains en avaient certainement attribué le mérite à un sculpteur italien d'un siècle révolu, mais cette porte avait été construite par des êtres magiques, c'était certain. Elle sortit de sa bulle quand elle se retrouva entassée dans une sorte de bus, mais en plus let. Son cousin avait prononcé le nom "tramway" et elle se dit qu'il devait correspondre à ce méprisable transport. Quand ils en descendirent, Barsa se remit à marcher, inhumainement.

Barsa, tu es vraiment d'une discrétion sans pareille ! Tu marches tout à fait comme un humain classique... Ah, quel jugeote a nôtre cher directeur !

Elle sourit à Barsanuphe.

Le trajet fut long, et il parut durer plus longtemps à cause de l'inconfort. Barsanuphe était obligé de se courber pour tenir debout, opération rendue difficile par la présence de barres où venait s'accrocher des centaines de mains. De plus il s'efforçait de ne pas lâcher sa cousine des yeux. Il y avait tant de gorge nue si près de sa bouche à elle, qu'elle était sûrement tentée.
Lorsque les portes s'ouvrirent sur l'arrêt auquel ils devaient descendre, Barsanuphe ressentit quelque chose d'étrange, de gênant, il s'extirpa hors du tramway, suivi par les trois quart du wagon, et se dirigea vers le pensionnat presque au pas de course. Il n'écouta même pas sa cousine, il venait de comprendre ce qui se passait autour de lui. Il se baissa vers elle discrètement.

Tu ne me connais pas. Continue droit devant toi, ne te retourne pas, l'orphelinat est à deux rues, fais ce que tu peux pour ramener Cael au pensionnat, je vous y rejoindrais...

Il glissa délicatement un sabre léger dans le dos de sa cousine après quoi il releva la tête et tendit l'oreille. Soudain le temps sembla s'arrêter autour de lui. Alors que des centaines d'humains marchaient sur le parvis, un seul son parvint aux oreilles du Viviris, des pas, pressés, l'homme courrait presque dans sa direction. Barsanuphe leva sèchement le coude en arrière au moment où un homme en noir s'approcha de lui. Ce dernier essuya l'assaut du directeur, son nez émit un craquement sinistre et il s'écroula parterre en se convulsant. Personne ne l'avait vu. Il était le seul à les voir, c'est à lui qu'ils voulaient s'en prendre, personne d'autre ne pourrait donc les voir. Il lança un regard alentour, les gens continuaient de se bousculer autour de lui, sauf eux, des hommes en noir, huit. Huit néantes tournaient autour de Barsanuphe, invisibles, sauf pour lui, il était leur proie. Il regarda sa cousine.

Va-t'en!

À son tour il disparut aux yeux de tous, il ne pouvait pas prendre le risque d'attirer l'attention. Un premier néante fonça vers lui pour engager le combat, le coloriste sortit sa lame courbe et para majestueusement son assaut. Peu à peu, les autres se joignirent à lui, attaquant chacun leur tour, toujours plus forts à chaque coup. Pourvu que Des' l'ait écouté pour une fois...

Desdemona entendit son cousin lui dire de fuir, mais ne l'écouta pas. Elle ne comprenait pas ce qu'il se passait et ne voulait pas partir sans avoir une réelle raison. Elle sortit de son sac un miroir, qu'elle plaça au niveau de ses yeux comme pour vérifier son maquillage. Elle vit son cousin disparaître après lui avoir dit de s'en aller de nouveau. Tout d'abord, elle voulut se retourner et faire quelque chose, mais, d'une part, elle aurait été impuissante, et d'autre part, elle devait aller chercher Cael absolument. Elle pressa donc le pas, se fondant dans la masse des gens. Malgré son apparence très banale, humaine, tous ceux à côté de qui elle passait la regardaient étrangement. Elle se regarda alors dans le miroir et vit que ses yeux étaient redevenus violets et que ses cheveux retrouvaient petit à petit leur couleur naturelle. Cela était vraiment étrange, Barsa ne ratait jamais ses mélanges. Mais cela importait peu, à vrai dire. Elle pressa encore le pas et atterrit derrière un bâtiment plus qu'austère. Un jeune homme, brun et plutôt beau, au visage fait de traits fins et aux yeux mélancoliques était adossé à un mur, avec une sorte de sac de sport, pour le moins petit. Cela ne ressemblait pas du tout à une valise, mais plutôt à ce que l'on choisirait pour s'en aller, discrètement. Il portait au poignet une gourmette d'argent, sur laquelle un signe figurait, signe qu'aucun œil humain n'aurait pu remarquer. Il s'agissait d'un B, celui de Barsanuphe, d'un graphisme d'une étrange beauté. Son cousin avait dû envoyer cette gourmette au jeune homme afin qu'il soit reconnaissable. Elle décida de tenter le "test ultime" qui déterminerait si ce jeune homme était le bon.

Opportun ?

Le jeune homme tourna la tête à une vitesse folle, d'une façon qui ne pouvait marquer un intérêt pour une question qui ne lui serait pas adressée. Il acquiesça avec timidité. Elle s'approcha alors de lui, plutôt lentement, pour ne pas l'effrayer. Elle lui sourit gentiment avant de parler.

Cael, je m'appelle Desdemona. Desdemona Bartavelle. Je suis venue te chercher avec le directeur, mais il a eu un petit souci en route et j'ai dû venir seule. Je peux concevoir que tu n'aies pas confiance, mais je suis visiblement ton seul espoir de fuir cet endroit, alors, si tu es prêt, on peut y aller !

Cael avait passé la journée la plus longue de sa vie. À plusieurs reprises il avait tenté de se distraire en jouant d'un instrument, en s'enfermant dans la salle de musique ou la bibliothèque, rien n'y faisait, une seule chose accaparait toute son attention, son départ. L'angoisse le rongeait, si jamais le directeur ne venait pas, il devrait partir là où ses maîtres avaient décidé. Le temps qu'il avait passé à faire ses valises ne fut pas assez long, celui pour faire le sac qu'il prendrait pour attendre le directeur non-plus.
Ses maîtres avaient remarqué que quelque chose n'allait pas bien heureusement, il put mettre son angoisse sur le compte de son départ prochain pour un institut dont il ignorait tout. Puis arriva l'heure du rendez-vous. Si les minutes avaient semblé s'écouler comme les heures tout au long de la journée, cette fois c'était l'inverse, le temps passait à une vitesse astronomique.
Il se faufila jusqu'à sa chambre, jeta son sac par la fenêtre, enfila un long manteau d'une élégance à couper le souffle et sortit, rappelant au gardien qu'il devait aller chez le tailleur. Depuis qu'il avait compris la valeur de l'argent, il s'était mis à travailler pour le pensionnat afin de pouvoir s'habiller à son goût. Ses tuteurs n'y voyaient aucun inconvénient, après tout le tailleur faisait régulièrement des dons au pensionnat.
Il longea donc le mur d'enceinte, pour se retrouver derrière le bâtiment et récupérer son sac. Il aurait aimé pouvoir en apporter plus mais c'eût été trop encombrant. Puis il s'adossa contre le mur et attendit. Il fouilla dans ses poches pour en sortir une petite gourmette qu'il mit autour de son poignet, M. Bartavelle le lui avait demandé. Il s'empêcha de siffler ou de chantonner pour ne pas se faire remarquer et prit son mal en patience, espérant de tout cœur que le directeur viendrait.

Il entendit des pas mais sursauta tout de même lorsqu'une voix de femme prononça le nom que lui avait donné le directeur. Il se retourna rapidement pour découvrir une jeune fille d'une beauté indéfinissable. Elle le fixait d'un air interrogateur, il acquiesça silencieusement, il n'était pas très bavard. Il sourit lorsqu'un sentiment l'atteignit. Elle faisait son possible pour ne pas l'effrayer, il trouvait cela très amusant mais s'abstint de le faire remarquer. Puis une autre sentiment le submergea. De l'inquiétude.

Je ne pense pas que vous soyez particulièrement malveillante. Et si vous connaissez mes noms c'est que vous êtes une personne de confiance.

Il se tut. Sa voix était douce et on y décelait un léger accent, latin peut-être. Il perdit son sourire et la fixa.

Vous êtes inquiète... à propos de M. Bartavelle. Ce contre-temps vous inquiète, n'est-ce pas?

Desdemona fut prise au dépourvu. C'était donc ça, la particularité de Cael. Il ne pouvait très certainement pas lire dans les pensées mais paraissait ressentir les émotions des autres, les deviner. Lorsqu'elle eut ce déclic, le beau jeune homme devint tout de suite beaucoup plus intéressant à ses yeux. Elle l'apprécia sans trop savoir pourquoi, d'autant qu'un jeune homme qui peut savoir ce que les gens ressentent peut être assez agaçant. Mais elle était de bonne humeur, alors cela allait.

Oui, je m'inquiète, bien sûr que je m'inquiète ! Barsanuphe est mon cousin, et son contretemps était... enfin, nous pousse à nous presser pour rentrer. Et, toi qui a l'air de sentir les émotions des autres, si tu sens quelqu'un de très concentré ou encore en colère, haineux, surtout, ne le dis pas et accélère, je te suivrai.

Deux Néantes de plus gisaient au sol. Du sang d'un noir d'encre bouillonnait encore e la gorge de l'un d'eux.
Un estoc obligea le directeur à reculer et il trébucha sur sa première victime. Sa lame courbe lui échappa, vulnérable, il n'eut pas le temps de la récupérer. Celui qui semblait être le meneur de cette bande en profita pour abattre son sabre sur lui.
L'acier tinta contre l'avant-bras de Barsanuphe, déchirant sa manche pour laisser apparaître un bracelet de force en argent. Son assaillant recula, il venait de comprendre qu'ils n'avaient pas surpris le directeur, sans en être certain, ce dernier avait en effet deviné qu'une attaque serait possible et avait pris toutes les précautions nécessaires. Un échec pour eux.
Barsanuphe profita de ce battement pour lancer une dizaine de stylets autour de lui. Trois vinrent se ficher dans le crâne du meneur, celui-ci s'écroula agonisant, deux se plantèrent dans le ventre du néante le plus proche après le chef, il disparut aussitôt, de peur d'être blessé d'avantage - un messager, à n'en pas douter. Les quatre autres récoltèrent quelques éraflures, rien ne pouvant les empêcher de combattre. Pourtant, ils se lancèrent un regard entendu et, d'un seul mouvement, prirent la fuite en direction de l'orphelinat.
Il ne fallut pas longtemps au directeur pour comprendre qu'ils ne fuyaient pas, mais qu'au contraire ils allaient chasser une autre victime.
D'abord réticent à utiliser des armes de jet, Barsanuphe dégaina, à contre-cœur, un élégant fusil, très étrange: un fusil à espautre. Il tira une première balle. L'épaule d'un néante explosa. Son sang éclaboussa une grande partie du parvis. Pourtant il ne s'arrêta pas, le directeur tira une seconde balle, celle-ci emporta le reste du torse du fuyard dans une nouvelle gerbe de sang. Il s'écroula. Le viviris rangea son fusil pour en sortir un autre plus petit et plus étrange, un fervefactum. Il appuya sur la détente, aucune balle ne sorti, l'extrémité rougeoya un instant, puis un hurlement retentit. Un néante se tenait la tête en hurlant, ses vêtements brûlaient à même le corps, son sang bouillonnait dans ses veines qui explosaient sous la pression et le laissait se répandre sous sa peau et s'évaporer par tous les pores. Une odeur de chair brûlée se répandit dans l'air tandis que l'homme finissait de s'assécher.
Barsanuphe ne s'attarda pas dessus, il cherchait les deux autres néantes. En vain, ils étaient déjà partis. Il rangea ses armes et se leva d'un bond.

Quelques instants plus tard il se retrouva dans une ruelle qui donnait sur l'orphelinat. Il était resté invisible. Les néantes étaient à l'intérieur, ils cherchaient. L'un d'eux se trouvaient devant une fenêtre, Barsanuphe buta sur quelque chose, une brique. Il s'en saisit et s'apprêta à la lancer lorsqu'une idée lui traversa l'esprit. Il lança la brique derrière lui, contre toute attente elle ne toucha pas le sol, elle s'arrêta à une vingtaine de pouces. Le directeur s'élança. Des briques se défichaient des murs sur son passage, d'autres, tombées parterre, se joignirent à celle qui le suivaient comme une traîne.
Il ferma les yeux, sans arrêter de sauter de toit en toit. Ils les sentaient, il n'était plus très loin.

Cael se sentit mal à l'aise. Il en fut surpris, d'habitude c'est lui qui mettait les gens mal à l'aise. Il la regarda, aucune expression ne caractérisait ses traits.

Excusez-moi... Je ne voulais pas être indiscret, je n'ai pas fait exprès, c'est... c'est sorti tout seul. Vous allez me prendre pour un fou mais c'est vrai. Je ne saurais pas l'expliquer.

Il acquiesça lorsqu'elle lui dit de presser le pas lorsqu'il sentirait la présence de quelqu'un. Ils se mirent en route. Puis quelque chose troubla Cael. Ils n'étaient plus seuls. Pourtant il n'y avait aucune concentration ni aucune haine dans ce qu'elle ressentait. Elle souffrait par endroit mais paraissait soulagée. Cael se retourna pour regarder la ruelle. Il oublia de prévenir Desdemona et fit chemin contraire jusqu'à entendre un bruit dans une ruelle voisine. Son sang se glaça, il s'arrêta net. Peut-être aurait-il dû tracer son chemin, accélérer et doubler la jeune fille pour lui signifier qu'ils n'étaient plus seuls. Des pas résonnèrent dans la ruelle. Ils s'approchaient, rapidement. Il recula, lentement, de plus en plus inquiet. Il sursauta en découvrant un spectacle étrange. Les pas ne résonnaient plus, le silence était revenu.

Ma... Mademoiselle Bartavelle...

Sa voix n'avait été qu'un souffle. Il était immobile. Devant lui était arrivé lentement, s'arrêtant à quelques pieds seulement, un nuage de briques, immobile...

Cael était mignon, à s'excuser de son pouvoir. C'était le comportement typique d'un humain n'ayant connaissance de Psycadélice. Desdemona, continuant d'avancer, songeait à son cousin, pris entre les "griffes" des néantes. Bien sûr, Barsanuphe était beaucoup plus puissant que ces ignominies, mais le fait que les créatures soient nombreuses l'inquiétait. Quand Des' revint à la réalité, ce fut à cause du silence. La jeune fille n'entendait plus les pas de Cael derrière elle. Elle se retourna brusquement et partit en courant dans la direction inverse. Quand une ruelle se présenta à elle, elle s'y précipita. Cael s'y trouvait bien. Il était face à un mur de briques. Chose étrange, vraiment. Cela ne présageait rien de bon. Desdemona courut vers Cael, non pas à la vitesse qu'elle s'était jusqu'alors efforcée de gardée, mais avec une rapidité fulgurante, inhumaine. Quand elle arriva à côté de lui, il la regarda avec un air inquiet, presque apeuré.

Ma... Mademoiselle Bartavelle...

Ne t'inquiète pas Cael, calme toi. Tu vois les briques au centre du mur ? Elles sont... différentes. Les teintes y sont variées, spéciales, presque magiques... ce ne sont pas des couleurs que l'on trouve dans le monde humain. Et des néantes ne se seraient pas donné la peine de faire cela, car ça n'est pas dans leurs pouvoirs naturels. Barsanuphe, lui, le peut. Même sans le désirer. Vois-tu où je veux en venir ?

Cael acquiesça. Elle lui sourit.

Nous allons tout de même créer une diversion et nous en aller, très vite. Cela va te faire bizarre, mais ça ne durera pas longtemps.

Dès qu'elle eut terminé de parler, Desdemona fit jaillir, juste devant le mur de brique, une énorme boule de feu qu'elle envoya dessus. Le mur s'écarta, laissa passer les flammes et se referma. Desdemona prit alors Cael par la main, l'entraîna plus loin et le regarda avec un air sérieux.

Monte sur mon dos. Aie confiance, fais-le.

Le jeune homme s'exécuta. Desdemona se mit alors à courir dans les ruelles non fréquentées, à une vitesse affolante. Elle se demandait ce que pouvait ressentir Cael, en tous cas elle-même s'amusait énormément. En moins de dix minutes, ils arrivèrent devant les portes de la ville puis très vite se retrouvèrent dans la forêt du pensionnat, là où personne ne pouvait les voir. Elle posa Cael.

Ne m'appelle plus jamais "Mademoiselle Bartavelle". Mon nom c'est Desdemona.

Et elle sourit.

Barsanuphe avait complètement oublié qu'il était invisible, aussi il ne bougea pas lorsque Cael regarda dans sa direction, croyant qu'il l'observait, il lui sourit même. Mais en le voyant si inquiet il s'étonna et lorsque sa cousine manqua de le faire brûler - il dût se jeter sur le côté pour éviter la boule de feu - il se souvint, trop tard qu'ils ne pouvait pas le voir. Cependant, le temps de se remettre sur pied, ils avaient déjà disparu. Il dût reconnaître que sa cousine ne faisait pas les choses à moitié, et qu'elle les faisait bien.
Mais il n'avait pas le temps de s'extasier devant les prouesses de Desdemona. Car, justement, sa boule de feu avait sûrement révélé leur présence aux néantes. Il jeta un regard derrière lui. Ils arrivaient, il ne les voyait pas, mais ils n'étaient plus très loin. Aussitôt le nuage de briques se mit en mouvement. Une par une, elle s'empilèrent entre les deux murs de la ruelle pour en former un troisième. Même si ce dernier sentait la magie à plein nez, il devrait suffire à retarder les néantes.
Barsanuphe s'élança à nouveau à la recherche de Desdemona et Cael. Ce ne fut pas chose aisée, sa cousine était véloce et rusée, elle ne suivait pas un schéma de fuite des plus ordinaires, elle revenait parfois sur ses pas, et elle ne s'était certainement pas perdue, elle avait dû calculer chaque écart.

Bartavelle!

Le directeur s'arrêta net. Il se retourna, à temps pour pouvoir éviter les deux boules de feu qui filaient vers lui. Il se mit à l'abri derrière ce qui restait d'un vieux mur.

Vous me surprenez. C'est la première fois que des néantes parviennent à me rattraper.

Montrez-vous!

Pourquoi devrais-je écouter deux néantes?

Tout en parlant, il manipulait quelques flacons. Il en ouvrit trois, de l'essence de cuir, de transpiration et sa propre essence, il en versa une partie sur le sol et en aspergea un peu le mur avant de les ranger et d'escalader l'immeuble.

Vous n'avez pas le choix!

Barsanuphe les regarda du haut du toit avant de redescendre derrière eux en silence.

Pensez-vous réellement avoir la moindre chance contre un membre de Moon?

le roi a fait!

Le fusil à espautre déchargea dans la tête du plus arrogant, éclaboussant l'autre et Barsanuphe - qui reçut quelques éclats d'os dans le visage -, tandis que l'autre dégaina une sabre et l'abattit sur le directeur. Ce dernier para, le néante tenta un estoc, Barsanuphe bloqua la lame, pas assez pour éviter que la pointe n'entaille son cou. Le duel dura un moment. Barsanuphe ne se servait que de ses bracelets de force, il récolta quelques blessures. Il voulait utiliser la magie, mais il savait que s'il le faisait, le néante répondrait de la même façon, et il ne voulait pas récolter plus de blessures qu'il n'en avait déjà. Finalement, alors que son assaillant levait haut sa lame pour l'abattre de toutes ses forces, Barsanuphe lui donna un gros coup avec son avant bras, lui brisant le crâne. L'autre s'écroula et fut secoué de spasmes, de nature sadique, le jeune Viviris se délecta du spectacle avant de finir de lui écraser la tête sur le sol. Depuis combien de temps ne s'était-il pas battu? Il avait oublié mais il y avait une nouvelle fois pris beaucoup de plaisir.

Quelques instants plus tard, il se retrouva dans le parc du pensionnat. Il redevint visible à quelques pouce de sa cousine qu'il serra dans ses bras, la faisant sursauter.

Tu as manqué de me tuer toute à l'heure, mais au moins ils ne vous ont pas suivi. Vous allez bien?

Il s'était un peu écarté d'elle puis l'avait regardée en souriant. Il en avait presque oublié Cael. Il tourna un regard grave vers lui. Le jeune homme arborait un visage de marbre exception faite de la peur qui se lisait dans ses yeux. Sans détourner les siens, il s'adressa à Des'.

Comment ça s'est passé pour vous?

Cael n'avait rien dit depuis leur arrivée. Il devait être terrorisé. Se faire transporter à une vitesse surpuissante par une fille à peine plus âgée que lui devait être assez impressionnant. Elle tentait de lui lancer des regards apaisants mais cela ne paraissait pas réellement fonctionner.

Cael, ne t'inquiète pas.

Qui... enfin qu'êtes-vous au juste ?

Je suis comme toi, enfin, pas tout à fait. Disons que tu as tes pouvoirs, et moi les miens. Je ne peux pas encore tout te dire, cela t'effrayerait plus qu'autre chose, mais ne t'en fais pas, tu n'es pas en danger avec moi.

Et tout le monde est comme vous ici ?

Non. Certains élèves sont dotés de pouvoirs, mais ils doivent le cacher aux autres. Les gens seraient effrayés s'ils savaient.

Soudain, Barsanuphe fit irruption, la faisant sursauter.

Tu as manqué de me tuer toute à l'heure, mais au moins ils ne vous ont pas suivi. Vous allez bien?

Desdemona ne répondit pas.

Comment ça s'est passé pour vous?

Oh, Cael a fait son tout premier tour en vampire !

Elle se retourna soudain, consciente de sa gaffe. Cael était devenu livide.

les réponses de Cael sont celles qu'il a proposé

Pouvoirs. Ce mot s'était gravé dans son esprit à l'instant où cette Desdemona l'avait prononcé. Il l'avait heurté même, et de plein fouet. Des pouvoirs! Jamais il n'aurait pu deviner que s'engager dans la voie que lui proposait le directeur Bartavelle l'amènerait dans une maison de fous. Il regardait la jeune femme, s'exhortant de ne pas sourire et se retenant de dire quelque chose comme: "ce n'est rien, ça va s'arranger." en lui tapotant l'épaule. Elle semblait y croire vraiment. Et cette légèreté, presque candide. C'était attendrissant.
Peu à peu il reprenait son assurance. Si cette cavalcade l'avait effrayé, il avait maintenant récupéré entièrement sa quiétude habituelle. Jusqu'à ce qu'un homme apparaisse subitement.
Il était effrayant et dans un état pitoyable. Couvert de sang, il en dégoulinait de partout sur lui, ça n'avait pas encore séché. L'angoisse le gagna à nouveau. Cette histoire de pouvoirs n'arrangea pas les choses.
Puis l'homme -Barsanuphe Bartavelle d'après ce qu'avait dit Desdemona- se tourna vers lui et le fixa, sans méchanceté aucune, mais d'une gravité déstabilisatrice. Il parla à la jeune femme sans le lâcher des yeux. Cet homme, si tant est qu'on puisse l'appeler comme ça, était impressionnant. Grand, filiforme, pâle -bien qu'il fut difficile de déceler sa peau sous tout ce sang-, un regard perçant, des dents acérées.
Il avait lu ses lettres, il savait beaucoup de choses grâce à elles, il avait tout oublié en le regardant. Cet homme lui faisait peur.
Son cœur battait à tout rompre, sa respiration se faisait de plus en plus difficile. Pourtant il gardait cette constance qui lui était propre.

Oh, Cael a fait son tout premier tour en vampire !

Il avait un pouvoir incroyable sur son propre corps, ce qui, en soit, était exceptionnel, mais il était une chose sur laquelle il n'avait aucun pouvoir, la couleur. Chaque couleur qu'arborait son corps. Ainsi lorsque le mot 'vampire' résonna dans son esprit, il devint livide. Inconsciemment, il recula.
C'en était trop. Il ne pouvait supporter autant d'émotions dans la même journée. Il n'était qu'un humain. Il aurait voulu crier, à s'en époumoner, courir à en perdre haleine. Mais il n'en fit rien, il se contenait, comme toujours.
Quelque chose de chaud coula sur ses lèvres, un liquide au goût ferreux coulait de son nez. Il saignait du nez. Il porta son écharpe à son visage.
Dans ses yeux se lisait la panique, il ne perdait jamais le contrôle sur son corps.

Barsanuphe se figea, muscles tendus, mâchoires serrées. Desdemona n'était pas particulièrement maladroite ou gourde, mais il lui arrivait parfois de faire ou de dire la chose à ne pas faire ou dire au mauvais moment. Il ne comptait certes pas cacher la vérité à Cael éternellement, mais de là à lui envoyer tout à trac.

Des'! Nom d'un chien! Tu ne pourrais pas te...

Son regard était à nouveau rivé sur Cael. Lorsqu'il vit le sang couler de son nez, le sien ne fit qu'un tour. Il lança un regard inquiet à sa cousine. En une fraction de seconde, il se retrouva devant le jeune homme, les bras en croix.

Ne bouge pas, Cael, et garde ce foulard sur ton nez!

Il ne savait pas comment réagirait sa cousine devant ce sang. Elle arrivait à se contrôler normalement mais il craignait toujours un débordement, une faiblesse, lui-même était loin d'être parfait et il avait ses faiblesses. Il leur était arrivé de se battre à cause d'une goutte de sang en trop.
Il espérait que ce ne serait pas le cas aujourd'hui, les néantes l'avaient fatigué, et il n'aimait pas se battre contre Desdemona.

Ça va Des'? Tu préfères que je l'éloigne?

Ça va Des'? Tu préfères que je l'éloigne?

Son cousin s'était placé entre Cael et elle à une vitesse effarante.

Pourquoi devrais-tu l'éloigner ? Crois-tu que je ne sais pas me contrôler ? Que je ne suis qu'une suceuse de sang de bas étage ? J'ai parfois vraiment l'impression que tu ne me fais pas confiance, Barsa'.

Elle s'était exprimée avec rage, un peu trop peut-être. Elle s'en voulut. Son cousin ne pensait certainement pas à mal, et elle lui hurlait dessus. Il cherchait simplement à protéger Cael, et à la protéger elle d'une certaine façon car, si elle tuait un humain, elle ne se le pardonnerait pas et il le savait. Elle rougit de s'être emportée contre son cousin et lui sourit timidement.

Excuse-moi, Barsa', je me suis encore emportée sans raison. Ne t'inquiète pas, je suis à même de me contrôler. Et puis, son sang n'est pas franchement appétissant.

Elle sourit de plus belle et lui adressa un clin d'oeil. Elle le contourna ensuite et s'approcha de Cael.

Excuse-moi Cael, je n'aurais pas dû balancer ça d'un coup. Est-ce que ça va ?

Ce n'est pas une question de confiance et tu le sais très bien. Les vampires sont inconstants, c'est dans leur nature.

Barsanuphe se tourna vers Cael, teintant ses iris de miel et s'efforçant de donner à sa peau une couleur plus humaine.

Je sais que tu te poses des centaines de questions, que tu es loin d'être rassuré. Tu me croire Cael, tu n'as rien à craindre de nous et je suis prêt à répondre à toutes tes questions. Mais, pour l'instant, et à mon plus grand regret, tu vas devoir rester dans l'ignorance. Tu es humain et, bien que je ne doute pas de la force de ton esprit, tu restes trop faible pour assimiler autant d'informations en si peu de temps.

Tout en parlant d'une voix quelque peu hypnotique, il fatiguait chaque muscle du jeune homme, tâchant au mieux de faire de même sur son cerveau.

Tu dois être épuisé et t'en dire plus n'arrangerait pas les choses. Tu es en sécurité ici et tu as déjà une place dans les dortoirs.

Il se précipita derrière lui pour le retenir et le prit dans ses bras pour le porter. Il sourit à sa cousine.

J'ai menti, il n'est pas si humain, mais il reste un peu faible. Suis-moi, il va falloir éclaircir quelques petites choses.

Il prit le sac de Cael sur son épaule et commença à marcher, pensif. Il attendit que Desdemona le rattrape pour parler, sourcils froncés, regard perdu au loin.

D'abord évite les remarques sur tes habitudes alimentaires devant Cael, du moins jusqu'à ce qu'il se soit habitué à nos conditions.

Il marqua une pause, omettant de préciser que le "nos" incluait également celles du jeune homme.

Ensuite, comment se fait-il que tes cheveux et tes yeux aient repris leur couleur naturelle? Tu n'avais pas bu assez de potion ou alors tu as pris un oxydant? La coloration aurait dû durer quelques heures.
Plus important, est-ce que vous avez croisé des Néantes?

Nouvelle pause. Puis il regarda sa cousine.

Tu dois te demander pourquoi je t'ai empêché de combattre et ce qui s'est passé là-bas, n'est-ce pas?

Desdemona se posait effectivement beaucoup de questions. Qu'étaient ces êtres qui les avaient suivis, et pourquoi avait-elle été forcée de courir ? Était-elle trop faible pour les combattre, du point de vue de son cousin au moins, ou bien fallait-il seulement qu'elle protège Cael ?

Eh bien... Euh avant toute chose, sache que si tu veux, un petit tour de passe-passe et Cael ne se souviendra plus de ma bourde... M'enfin... Alors, oui, j'ai croisé les Néantes, enfin, nous, mais bon, je ne suis pas sûre que Cael ait compris ce qu'il se passait. Que sont ces créatures, et pourquoi te suivaient-elles ? C'est après Cael qu'elles en avaient ? Et c'est pour ça qu'elles nous ont suivi un bout de chemin ?

Pendant qu'elle laissait son cousin réfléchir à ce qu'elle venait de lui dire, elle pensa à son retour d'apparence. Barsa' avait raison. La potion n'avait pas fait effet bien longtemps, alors que son cousin était expert en la matière. Mais, étant donné qu'avant ce matin-là elle n'avait jamais pris de potion de ce genre, elle se dit que peut-être l'effet sur un vampire était différent de celui sur un humain. Elle décida de faire part de cette réflexion à son cousin.

Barsa, peut-être que tu devrais tenter de modifier ce genre de potions, de les faire plus fortes lorsqu'il s'agit de m'en donner... Peut-être qu'elles sont moins puissantes sur les vampires, tu ne crois pas ?

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